Les révélations classiques de l'Adami aux Bouffes du Nord
Depuis 20 ans, par son travail opiniâtre au service de la promotion des jeunes talents de la musique "classique", l’association artistique de l’ADAMI a fait émerger quelque 160 artistes, dont certains font aujourd’hui une belle carrière. Après le Festival Pablo Casals de Prades, ce concert parisien est une nouvelle opportunité pour ces jeunes artistes de se faire connaître et reconnaître.
Le très haut niveau des instrumentistes a frappé tout le public, au service d’un répertoire (Jean Françaix, Bella Kovacs, Sarasate, Chopin, Enesco, Brahms, Kodaly, Boccherini) témoignant de la curiosité et du raffinement de ces musiciens : un très bon pianiste, Josquin Otal, un excellent clarinettiste, Amaury Viduvier, un violoncelliste de haut vol, Yan Levionnois et surtout, une jeune violoniste incandescente et enthousiasmante : Anna Göckel !
Nous nous concentrerons ici plus longuement sur les jeunes chanteurs, pour lesquels le bilan est plus contrasté, au service d’un répertoire, comme souvent hélas, particulièrement convenu. Le baryton Anas Seguin émerge indiscutablement du quatuor ici réuni. Une réelle prestance scénique, un physique avantageux et sobrement utilisé, un jeu bien pensé et dosé, efficace en diable, une très belle voix longue et sonore, bien projetée, avec un aigu vibrant et lyrique ainsi que de très beaux graves. Avec surtout une tenue de chant très aristocratique et des couleurs judicieusement mises au service de ces rôles seconds (Valentin, du Faust de Gounod ; Riccardo des Puritains [I Puritani] de Bellini) peut-être, mais dans lesquels un artiste de ce niveau peut atteindre des sommets ! Même dans le Offenbach collectif et conclusif du concert ("Le Muletier et La Jeune Personne", de La Périchole), il réussit à chanter avec un raffinement qui tranche avec l’humour bourgeois Second Empire, très "pince-fesse", toujours déployé dans ce répertoire.
Fabien Hyon est un jeune ténor qui ne manque pas d’atouts (très beau timbre, et sens des couleurs), avec une voix qui, sans être proprement lyrique, est néanmoins virile et le distingue des ténors les plus légers. Il semble cependant mal à l’aise physiquement et peine à incarner les rôles qu’il aborde. Sauf, de manière surprenante, dans le quatuor d’Offenbach final où il a semblé trouver un confort et finalement un univers à sa convenance. Dans le sublime « Kuda, kuda… » (air de Lenski, dans Eugène Onéguine de Tchaïkovski), il déploie de très jolis sons en demi teinte bienvenus ici, mais il manque encore de dosages. Ainsi, se laisse-t-il déborder par un fortissimo mal maîtrisé, mal amené et trop contrastant (il rencontre d'ailleurs un problème similaire dans l’air de Fortunio, d’André Messager).
Ambroisiné Bré (© Eric Mercier)
Ambroisine Bré est une joli mezzo-soprano, déployant scéniquement un abattage sympathique, mais finalement assez systématique quel que soit le morceau interprété. Elle a cependant une réelle présence scénique, qui, canalisée par un metteur en scène, devrait produire son effet. La voix est très belle, étendue, mais pas très large, ce qui fait craindre, en particulier pour Rossini (Contro un cor che accende, air de Rosine, dans le Le Barbier de Séville), que le mur d’orchestre soit difficile à franchir efficacement. C’est également dans Offenbach qu’elle a semblé le plus justement distribuée.
La soprano Marie Perbost a la « voix du bon Dieu » comme on dirait dans le sud ! Avec un vrai format d’opéra, une voix étendue, facile, et un timbre fruité et brillant. Elle pêche cependant par une diction un peu pâteuse en français et très (trop) "consonantique" en allemand. Il lui manque également pour être convaincante, un déploiement d’intentions vocales au service du texte et de la dramaturgie : dans le récitatif et l’air de Suzanne ("Giunse alfin il momento… Deh vieni e non tardar" dans Les Noces de Figaro) par exemple, Suzanne se sachant écoutée par Figaro laisse planer, de manière un peu "sadique" (pour le taquiner), dans le récitatif, une ambiguïté sur le destinataire de la sublime déclaration amoureuse qu’elle va produire dans l’aria. Ce n’est donc pas seulement un air merveilleux mais un vrai moment de théâtre qui s’inscrit dans une dramaturgie complexe, dont l’air doit aussi rendre compte. Le récital a souvent pour effet de gommer tout cela. C’était le cas ici. Manifestement plus à l’aise dans l’opérette (La Chauve-Souris [Die Fledermaus] de Johann Strauss et dans Offenbach), elle semble là dans son élément artistique, assumant parfaitement cet humour convenu, qui plait incontestablement au public. C’est donc finalement Offenbach qui triompha ce soir là, avec une relève de chanteurs globalement convaincants par leurs moyens et dans leur manière de raviver les clichés qui caractérisent ce répertoire.