La Belle Meunière de Goerne Schubert au TCE
Die schöne Müllerin est l’histoire d’un apprenti meunier épris d’une jeune fille et qui, désespéré d’être supplanté par un chasseur va se jeter dans le ruisseau, miroir et confident de son aventure. Dans ce cycle, la place du chanteur diffère des autres Lieder de Schubert. Il n’est plus le narrateur mais le personnage lui-même et le chanteur s’identifie au meunier dans un monologue. Matthias Goerne prête à ce personnage sa magnifique voix et son engagement physique. Il est toujours en mouvement, son corps accompagne son phrasé, tantôt dressé sur la pointe des pieds tantôt replié sur lui-même. Il est accompagné, soutenu, entraîné par le piano de Leif Ove Andsnes. Entre les deux musiciens, l’entente est parfaite.
Leif Ove Andsnes (© Özgür Albayrak)
L’interprétation du baryton est remarquable de par sa grande variété de dynamiques ainsi que son phrasé unique et naturel. Sa façon délicate d’émettre les consonnes, de faire vibrer les nasales donne une grande douceur à son legato. Lorsqu’il s’adresse à la meunière dont il est amoureux (Morgengruss), le baryton émet des sons d'une extrême douceur, utilisant la voix mixte. Il peut aussi éructer son texte, appuyant les consonnes avec un timbre rugueux (Der Jäger) quand il évoque le chasseur qu’elle lui préfère. Sa respiration fait partie intégrante de la musique et elle devient sonore dans Wohin lorsque le poème pose la question du but du voyage. Les suspensions et les silences tiennent le public en haleine, notamment dans Die Neugierige qui est d’une beauté époustouflante.
Matthias Goerne (© 2008 Marco Borggreve for harmonia mundi)
À plusieurs reprises, la voix devient opératique, ample et puissante : sur certains mots comme "mein Herz" (mon cœur) dans Ungeduld (Impatience), "Ade" dans Die böse Farbe ("Adieu" dans La Couleur haïe). L’intensité est extrême sur le mot « Mein » (Mienne) dans le Lied du même nom, point culminant de l’œuvre. Le cycle s’achève avec Des Baches Wiegenlied (La Berceuse du ruisseau) dans un tempo très lent. Le chanteur ose des sons pianissimo, le ruisseau/piano berce le meunier déterminé à mourir. Le silence suspendu de cette fin dure plusieurs secondes avant les applaudissements enthousiastes du public. Il n’y aura pas de bis, le voyage s’arrête là pour ce soir. Il reprend le 8 février avec le Voyage d’hiver et le Chant du cygne le 10 février.
Matthias Goerne; "Die schöne Müllerin"; Franz Schubert - Eric Schneider (Piano)