Par-delà le « Grand Schisme » à La Cité de la Voix
Partant du « Grand Schisme » de 1054, l’Ensemble Irini interprète des œuvres en écho à la séparation entre les Églises d’Orient et d’Occident, entre le monde grec et le monde latin. Séparation qui, toutefois, n’est pas si nette, notamment du fait de l’affaiblissement de l’Empire byzantin (déjà entamée avec le sac de Byzance en 1204 par les Croisés) face à la menace turque.
Aussi, les œuvres choisies mettent-elles en avant les relations entretenues par les deux mondes au XVe siècle, alors que l’Empire se défait petit à petit, mêlant musique latine et orthodoxe avec, pour la première, les œuvres de Guillaume Dufay. S'y retrouve par exemple le motet Vasilissa ergo gaude (Alors réjouis-toi, Princesse) qui célèbre l’union entre Cleofa Malatesta, issue d’une grande famille de Pesaro, et Théodore II Paléologue, le fils de l’empereur Manuel II Paléologue, ou encore l’Ecclesiae militantis dédié au Pape Eugène IV, initiateur du concile œcuménique de 1439 de Florence où a lieu une ultime tentative, soldée par un échec, de rapprochement entre les deux Églises.
Pour ce qui est de la musique orthodoxe, l’Ensemble Irini (dont le nom signifie d’ailleurs paix en grec) reprend notamment En ti Erythra Thalassi, un "théokion" dédié à la Vierge lors de la procession de sortie du mariage. Ainsi, voix et instruments viennent ici concorder pour retracer cette page d’histoire et de tentatives d’union entre deux mondes.
Dans l’ancienne église Saint-Germain-d’Auxerre de Vault-de-Lugny résonnent ces ensembles de polyphonies médiévales, reprises avec lumière par l’Ensemble Irini. L’équilibre se remarque d'emblée, mais aussi le dynamisme avec lequel les voix se répondent, s’accordent et s’enchaînent, sous la direction particulièrement rythmée, marquée de façon parfois excessivement gestuelle, de Lila Hajosi. L’entrée dans le répertoire orthodoxe contraste aussitôt avec les morceaux de Dufay, par la présence plus imposante des basses, mais le soin porté à la précision est identique, voire meilleur. Enfin, les instrumentistes ne sont pas en reste, notamment mis en valeur dans un duo de trompettes médiévales plein de densité, aux couleurs éclatantes.
Malgré quelques problèmes de logistique dans la gestion et le partage des pupitres, faisant sourire le public, le concert poursuit son fil rouge vers deux lamentations déplorant la prise de Constantinople : celle de Dufay, latine (Lamentatio Sanctæ Matris Ecclesiæ Constantinopolitanæ), puis celle de Manuel Doukas Chrysaphes (un des derniers musiciens de la cour byzantine), grecque (O Theos, Ilthosan Ethni). Enfin, Constantinople tombée, le concert s’achève et les artistes saluent, sous les applaudissements chaleureux du public.