Télémaque et Calypso de Destouches sort des Ombres à Versailles
L’ensemble Les Ombres (co-dirigé par Margaux Blanchard) sous la houlette de Sylvain Sartre poursuit son exploration des œuvres d’André-Cardinal Destouches (1672-1749) et, après un passage par le Festival d'Ambronay, présente Télémaque et Calypso à Versailles (en la Grande Salle des Croisades).
Le livret de l’abbé Pellegrin, d’après les Aventures de Télémaque de Fénelon, est librement inspiré de L’Odyssée avec l’évocation de l’épisode où Télémaque est naufragé sur l’île de Calypso. Tous les ingrédients favorables à la tragédie lyrique y résident : amours contrariées, oracles, magie (Calypso convoque dès le premier acte les démons de sa suite), fastes et tempête.
Avec sa tragédie lyrique, Destouches s’inscrit dans le prolongement du grand style insufflé par Lully au siècle précédant. Récits et airs s’enchaînent dans un grand respect de la prosodie mettant en valeur la musicalité de la langue, et la richesse de l’écriture orchestrale révèle l’inventivité du compositeur.
Les Ombres et leur chef Sylvain Sartre servent avec brio la partition de Destouches dans des enchaînements resserrés propices au naturel des dialogues entre les protagonistes.
La vivacité rythmique rend toute l’énergie des nombreuses danses ponctuées par les percussions que Marie-Ange Petit actionne résolument (tambourins, cloches, castagnettes, timbales, tambour…). Le continuo conséquent (clavecin, deux violoncelles, deux théorbes, un basson) participe à la plénitude sonore de l’ensemble qui, cependant, offre peu de nuance, obligeant alors les chanteurs à une projection soutenue.
Dans cette version de concert, les solistes se relaient derrière les pupitres via de nombreuses allées et venues, ce qui ne semble en aucun cas entraver l’incarnation d’Isabelle Druet en Calypso. La mezzo-soprano révèle les contrastes de son personnage dans une théâtralité et un engagement constant. Son apparition en impose immédiatement par l’affirmation de sa projection dans son adresse à Neptune. Grâce à une accroche vocale assurée, sa diction est exemplaire et son chant se nuance selon qu’elle avoue son amour pour Télémaque (sons droits, soufflés) ou, le voyant rejeté, en appelle à la « Haine, dépit, fureur ». Sa voix rayonne alors sur toute la tessiture. Rien ne résiste à ses emportements, pas même le pupitre qui se décroche sous l’effet de sa colère et qu’elle raccroche tout en jubilant à l’idée de sa vengeance à venir.
Eucharis, autre personnage féminin, est interprétée sensiblement par la soprano Emmanuelle de Negri. Sans jamais se départir d’une certaine rondeur vocale, elle excelle dans la plainte et, réalisant l’impossibilité de son amour pour Télémaque, ses pleures s’allient au son du traverso dans une cohérence sonore touchante (« Lieux sacrés »). Prête au sacrifice, son chant s’intensifie dans une vibration resserrée et elle délivre le texte en grande intelligence et avec moult nuances. Elle interprète également l’air de la Matelote au dernier acte, remplaçant ainsi Hasnaa Bennani souffrante, pour sa dernière intervention. Cette dernière fait montre d’une gêne et d’une fragilité impactant davantage son incarnation que sa voix. Qu’elle soit L’Amour dans le prologue, Cléone ou encore une grande prêtresse de Neptune, sa vocalité demeure agile manquant cependant du soutien d’une diction affirmée.
Si Marine Lafdal-Franc fait entendre une voix charnue dès le prologue (Minerve), elle s’impose réellement en Grande Prêtresse de l’Amour dans une projection vaillante préservant rondeur et charme.
De charme, le haute-contre (ténor aigu) Antonin Rondepierre en Télémaque n’en manque pas comme le prouve l’amour que lui vouent les deux héroïnes. L’auditoire est sensible également à son chant tout empreint d’une vaillance juvénile et à sa voix arrondie et chaleureuse aux aigus francs et aux graves galbés.
Le baryton David Witczak incarne magistralement Adraste d’une voix brillante et intense. La crainte, la jalousie et le désir de vengeance sont projetés puissamment, les consonnes percutent et la voix flamboie.
David Tricou apparait brièvement à plusieurs reprises en Arcas, un des Arts et un Plaisir, qu’il est au sens premier pour l’auditoire tant son interprétation est engagée et sa voix de haute-contre assurée.
Le baryton-basse Adrien Fournaison interprète Apollon et Idas avec sérieux. Colin Isoir sort du chœur pour devenir le grand prêtre de Neptune d’une voix posée manquant cependant quelque peu de fermeté.
Les Chantres du Centre de Musique Baroque de Versailles (16 chanteurs) préparés par Fabien Armengaud interviennent le plus souvent en homorythmie faisant entendre un son homogène dans une articulation précise.
Le public applaudit chaleureusement les artistes, réservant toutefois une ovation pour Isabelle Druet, les charmes de Calypso n’en finissant pas d’opérer.
Extraordinaire « Télémaque et Calypso » de Destouches par @lesombres @sylvainsartre #margauxblanchard : choeur formidable et artistes exceptionnels : Druet incandescente, De Negri en majesté Il faudrait tous les citer ! Merci de servir si bien cette superbe musique pic.twitter.com/HiDLujbGfe
— Pierre J. (@pjour1) 19 juin 2024