Armide Salle Favart : après Gluck, Lully
Après celle de Gluck représentée en 2022 in loco, c’est l’Armide de Lully (également sur le livret de Quinault) qui prend place sur les planches de l’Opéra Comique. La mise en scène de Lilo Baur ne cherche cependant pas les contrastes. Nulle extravagance baroque ne s'impose dans cette mise en scène avant tout caractérisée par sa sobriété : un décor (Bruno de Lavenère) d’abord voilé par un rideau aux reflets métalliques cachant un arbre mort dans un paysage lugubre (arbre déjà présent en 2022), peut-être reflet de la désertion et de l’exil d’Armide dans un amour voué à l’échec. Les couleurs sont sombres elles aussi, notamment dans l’obscurité des costumes (Alain Blanchot), et participent à l’impression de désolation à laquelle sont voués les sentiments de la magicienne.
Également de retour à ce mythe deux ans après, Christophe Rousset et ses Talens Lyriques refusent aussi l’extravagance. La direction vise la précision, l’exactitude, sans pour autant sacrifier l’énergie de la musique de Lully. Les instruments d’époque font vibrer la tension dramatique, soulignant l’intensité du drame qui se joue. Les musiciens sont d’ailleurs totalement imperturbables alors que de la fumée envoyée sur scène se propage jusqu’à eux (et au public du premier rang), les enveloppant dans un épais brouillard.
Le Chœur Les Éléments participe lui aussi à ce drame, autant visuellement que musicalement. Avec autant de ferveur que de cohésion, les voix se mêlent et s’entremêlent dans une grande homogénéité tandis que les chanteurs occupent tout l’espace scénique avec parfois des jeux de mouvements chorégraphiés. Certains passages surprennent toutefois par leur langueur (par rapport au dynamisme de la musique).
Cyrille Dubois interprète Renaud, le glorieux chevalier dont Armide s’éprend. La voix se déploie, comme à son habitude, avec un tel naturel que le public semble déjà conquis à peine le ténor est-il entré sur la scène. À l’aisance et la justesse du chant s’ajoute l’émotion, touchante dans sa douceur contrastant avec la passion féroce de la magicienne.
Le baryton Edwin Crossley-Mercer est Hidraot, également magicien et souverain de Damas. Son timbre épais et guttural se déploie avec aisance, pour un chant imposant, à la fois riche et profus.
Anas Séguin, quant à lui, incarne l’allégorie de la Haine. Le chant est vif, mordant, soutenu ici par l’engagement théâtral de l’interprète, notamment dans la chorégraphie qu’il exécute avec Ambroisine Bré. Les deux chanteurs y forment un duo particulièrement entraînant où la Haine cherche à convaincre Armide de se plier à elle, tandis que la magicienne tente de lui échapper.
Lysandre Châlon interprète Aronte et Ubalde, envoyé avec le Chevalier danois, son compagnon d’armes, retrouver Renaud prisonnier des bras d’Armide. Le baryton se fait sombre, opaque même, dans un chant pourtant vigoureux et affirmé. Enguerrand de Hys, quant à lui, est Artémidore et le Chevalier danois, caractérisé, par contraste, par un ténor clair, à la ligne droite, tracée avec netteté.
Florie Valiquette (tour à tour la Gloire, Sidonie, Lucinde et une bergère) et Apolline Raï-Westphal (la Sagesse, Phénice, Mélisse et une nymphe) forment quant à elles un duo cohérent dans tous les personnages qu’elles interprètent. Leurs voix de sopranos, assez proches au niveau du timbre (clair et lumineux pour la première, plus nuancé et solaire pour la seconde), se fondent aisément l’une avec l’autre. La précision que chacune tient dans son chant, ainsi que la netteté de la prononciation française, se font parfaitement compréhensibles.
Abel Zamora présente lui aussi un chant bien dessiné, pour un timbre plutôt clair et une voix encore légèrement nasale, convaincu dans son rôle de l’Amant fortuné.
Enfin, Ambroisine Bré incarne la magicienne Armide. La voix est nette, le chant tranchant dans les moments de fureur du personnage, mais généralement riche et délicat, coloré par une palette dorée. Malgré l’ardeur que la chanteuse investit dans le rôle, c’est à partir du monologue d’Armide qu’elle parvient à réellement imposer le tragique de la magicienne –d’autant plus que la mise en scène n’aide pas à la distinguer des autres personnages, si ce n’est par la couleur rouge de son vêtement. Mais une fois plongée dans l’expression déchirante de sa passion et de son désarroi, la cantatrice communique de façon poignante au public toute la douleur amoureuse de son personnage et enfin, son implacable volonté de vengeance.
Le public, conquis par la représentation, remercie d’applaudissements éclatants tous les interprètes de cette première, dédiée par l’Opéra Comique en début de soirée à Jodie Devos.