La Vestale par Lydia Steier à Bastille : dystopie sans lumière
La proposition scénique de Lydia Steier mêle trois époques : celle romaine des personnages, celle de la création de l’opéra (qui célébrait en son temps le pouvoir et l’épopée napoléonienne), et celle d’un XXe siècle fasciste réinventé (le Triomphe de l’acte I et ses images de propagandes rappellent les défilés l’URSS ou du IIIe Reich). C’est dans l’Amphithéâtre de la Sorbonne et son esthétique classique que se rencontrent ces temporalités pour former une fable dystopique : le pouvoir s’y célèbre dans la violence et la répression des corps, les bibliothèques sont vides, les livres alimentent le feu de Vesta et l’amour y est condamné à coup de fouet. Dans la lecture de la metteuse en scène (comme dans celle qu’elle proposait de Salomé), l’autorité est brutale et punitive, qu’elle soit militaire (incarnée ici par le Souverain Pontife) ou religieuse (avec une Grande Vestale particulièrement sadique) et finit toujours par renaître, sous de nouveaux visages.
Une lecture qui a sa cohérence mais très soulignée, et tout au long de la proposition. La metteuse en scène semble ainsi faire peu confiance au texte ou à la musique, et prend le parti de tout montrer : les corps qui saignent, une sexualité brutale, les coups, les crachats, les corps suppliciés qui défilent lors du triomphe de l’Acte I entre deux bannières à l’affiche de Vesta… une violence très théâtralisée qui n’évite pas toujours la maladresse (les coups sont lents, les chutes gauches font plus sourire que peur). De l’autre côté, sa poésie revendiquée est elle aussi soulignée par des images : le souvenir du bonheur (avec Licinius et Julia riant au soleil couchant) ou bien des moments de freeze où tout le monde se tient immobile avec une projection de nuit étoilée pour le dernier air de Julia.
Étonnamment, dans cette lecture qui explicite tout, le deus ex machina final (cette intervention providentielle de Vesta qui ravive la flamme sur scène conduisant à un pardon général) reste ici très mystérieux : une apparition, sorte de Madone de procession géante, passe sur scène, bouleversant apparemment le Souverain Pontife qui pardonne… avant de décéder. Licinius et Julia s’en vont sous les hourras avant que, sur la musique du ballet, Cinna ne s’empare du pouvoir avec une nouvelle grande prêtresse (faisant au passage exécuter l’ancienne, à la mitrailleuse), recommençant un cycle de violence. La dernière image affiche une citation de Voltaire sur le fanatisme, à l’image d’une proposition scénique qui rajoute des mots supplémentaires à une image déjà plus que lisible.
Côté voix, Élodie Hache remplace ce soir Elza van den Heever annoncée malade par Alexander Neef avant la représentation. Un défi écrasant que la soprano affronte avec courage. Le timbre est sonore même dans l’acoustique difficile de Bastille, d’une couleur brillante et claire, et la soliste très engagée dans son personnage, apportant un soin particulier au texte et aux récits. Le chant est néanmoins plus vigoureux que souple, parfois trop vibrant, et la chanteuse est obligée de respirer quand la ligne se fait plus chantante que dramatique. Si elle laisse craindre de la fatigue vocale, elle parvient jusqu'au bout d’une partie très exigeante en ayant même osé des nuances bienvenues.
Michael Spyres trouve en Licinius un rôle parfaitement à la mesure de ses moyens actuels, entre souplesse belcantiste et déclamation wagnérienne : le timbre est sonore et riche, le souffle long, l’articulation du français naturelle et l’artiste habité. Dans ce chant libre et engagé passe l’une des rares émotions directe de cette soirée, notamment au début du troisième acte, lors de son air et de son affrontement avec Jean Teitgen en Souverain Pontife, sobre et tendu (avant que le ténor ne soit passé à tabac et se retrouve couvert de sang).
La basse impose en effet un timbre noble et généreux, légèrement vibrant, qui se couvre avec rondeur dans l’aigu, même si la fin de l’Acte II le pousse un peu dans ses retranchements. Un chant racé qui donne de la profondeur et de la nuance à un personnage pourtant peu sympathique dans cette vision.
Ève-Maud Hubeaux écrase ses Vestales de sa présence et de sa longue silhouette, dessinant avec volupté un personnage sadique à souhait qui bascule du tout au tout quand son crédit s’effondre au profit d’une nouvelle Grande Vestale. La voix est sombre et bien conduite, mais la chanteuse doit lutter contre une tessiture difficile, notamment au premier acte où son grave échoue parfois à passer la barrière de l’orchestre.
Julien Behr est un Cinna élégant, au timbre caressant et souple, mais qui manque parfois d'impact notamment au début de l’Acte III. Le comédien est toujours aussi à l’aise sur scène, habitant avec soin les mots de son personnage.
Enfin, Florent Mbia complète la distribution en Chef des Aruspices, faisant entendre dans ses brèves interventions une voix assurée au timbre sombre et brillant qui donne envie d’en entendre davantage.
Après une ouverture tendue et sans démonstration, le chef Bertrand de Billy se montre attentif à chacun, n’évitant pas certains décalages avec le chœur ou la musique de scène, contrôlant la puissance de l’orchestre et donnant les départs avec une attention spéciale (assez logiquement) pour Élodie Hache. Une lecture efficace mais assez sage de la partition qui ne s’enflamme jamais tout à fait, mettant à l’épreuve les différents pupitres de l’Orchestre de l’Opéra qui répondent présent avec conviction.
Présent et engagé également, le Chœur maison, très sollicité par la partition, soigne la prononciation et les couleurs des pupitres.
Les artistes sont chaleureusement applaudis par le public même si quelques huées accueillent l’équipe de mise en scène.