Lenneke Ruiten “Vocalissima” à La Monnaie
Quelques jours seulement après la reprise du 9ème opéra de Benjamin Britten, The Turn of the Screw (Le Tour d’écrou), Lenneke Ruiten fait tourner les esprits. Au programme, les trois compositeurs expressifs que sont Strauss, Debussy et Britten font résonner Lieder, Mélodies et Songs entre regrets nostalgiques et élans aux tendances mortifères. Les romantiques Mädchenblumen (Jeunes filles en fleurs) et Vier letzte Lieder (Quatre derniers Lieder) de Strauss, comme les poèmes de Debussy pointent en luminosité pour faire briller les Cabaret Songs de Britten.
Une humilité se dégage de la soprano dans sa présence sur scène, même dans sa robe bleue en cascade de tissus, le calme et la sérénité imposent un rapport particulier au silence.
Familiers des récitals et complices de longue date (20 ans), elle et son partenaire façonnent la musique avec une complicité remarquée. Leur interprétation, dépourvue d'artifice, honnête et directe, marque une rupture avec la pompe habituellement associée à la scène d’opéra (même si le public de La Monnaie se souvient peut-être d'avoir vu Lenneke Ruiten dans un tout autre registre : il y a quelques années avec la trilogie Mozart-Da Ponte aux allures de scandales ou dans le rôle principal de Bastarda, exercice vocal de puissance).
Tenue dans des hauteurs limpides et claires, la voix de la soprano se dessine en évitant les élans superlatifs pour s'élever en des arias supérieures et éthérées. La voix sait être à la fois humble et austère, généreuse, concentrée et pourtant richement ondulatoire. Légèrement pincée, la bouche laisse passer les sons et les mots en finesse, presque chuchotée. La langue est roulée pour les textes français de Debussy, le souffle est plus marqué avec Strauss.
Retenue légèrement en arrière, généreuse et tempérée, la nostalgie s’adresse à la soprano avec pudeur et respect. L’impression d’un dialogue entre passé et présent offre à l’auditoire la sensation d’un instant volé, le public comme témoin.
Complétée par le calme du clavier de Thom Janssen, spécialiste de l'accompagnement, sa linéarité complète l’empathie de la chanteuse. La lecture musicale du duo se fait ainsi complexe, jonglant entre la clarté de la partition et noirceur de propos. Si The Turn of the Screw incarne les rôles des fantômes, les Lieder s’adressent métaphoriquement à ceux du passé : la nostalgie comme interprète de l’ombre. Au service total des paroles, la soliste ajoute ainsi une touche d’humanité par sa voix vulnérable, fragile et pleine de tendresse : la soprano s’adresse en consolation du passé.
Cette fragilité est rompue pour les Cabaret Songs de Britten, exercice de charme sensuel pour le duo. Précise, piquée et jazzy, la soliste se métamorphose d’énergie avant d’échanger des adieux, chaleureusement ovationnés par le public.