La Néréide et les trois Dames de Ferrare au Festival de Saint-Denis
Le légendaire trio des « Dames de Ferrare » est ré-incarné par l’Ensemble La Néréide. Laura Peperara, Anna Guarini et Livia d’Arco qui furent employées exclusivement au service du Duc Alfonso II de Ferrare, sont interprétées par Camille Allérat, Julie Roset et Ana Vieira Leite (souffrante ce soir et remplacée par Anne-Laure Hulin), trois amies s’étant rencontrées au cours de leurs études à la Haute École de Musique de Genève. Si les « Tre Donne di Ferrara » vivaient quasi recluses et que leurs concerts étaient réservés à quelques rares personnes invitées à la cour de Ferrare, l’Ensemble La Néréide affiche paroisse comble en l’église Saint-Denys-de-l’Estrée, ouvrant ainsi le Festival de Saint-Denis avec succès.
À quelques siècles d’intervalles (fin XVIe - début XXIe), le compositeur Luzzasco Luzzaschi fait office de médiateur entre les deux ensembles. La programmation des madrigaux à une, deux ou trois voix que ce dernier composa pour « les trois Dames de Ferrare », fait découvrir au public une musique exigeante, richement ornée, restée au demeurant longtemps secrète. Parmi ces madrigaux s’immiscent quelques pièces de la même époque (Monteverdi, Francesca Caccini, Luca Marenzio…) participant au doux enchantement qui gagne l’auditoire malgré les bruits extérieurs des trams et des motos.
Ce ravissement avait déjà lieu à l’époque du trio de Ferrare et la beauté de leur voix et leur virtuosité est louée dans certaines chroniques de l’époque. Les trois sopranos de La Néréide montrent, quant à elles, une expertise impressionnante. Intervenant en imitation ou s’échangeant leur place dans la polyphonie, elles prennent l’auditoire dans les fils de leurs mélodies, les déesses marines (les Néréides) se transformant alors en sirènes enchanteresses. Les textes et les « affetti » s’y rapportant sont soigneusement interprétés et les voix s’étirent dans une émission droite mais néanmoins souple et délicate. Elles ornent leur chant dans une aisance remarquée et côtoient les cimes dans la pièce a cappella de Marenzio (Belle ne fe’ natura) dans un équilibre et une justesse impeccable.
L’utilisation du nom des déesses de la mer au singulier, La Néréide, peut à la fois signifier une entité fusionnante ainsi qu’une créature à trois têtes distinctes. Celle de Julie Roset est impressionnante d’assurance et d’aisance (elle a remporté le Premier Prix féminin au dernier Concours Operalia). Sa faculté à nuancer oriente son interprétation tantôt vers une langueur voluptueuse ou vers l’éther des aigus suspendus, tantôt vers une projection affirmée, la rondeur du timbre demeurant immuable.
Camille Allérat, elle, se distingue par l’extrême délicatesse de son chant. Sa voix se libère sans effort apparent dans une souplesse d’émission, toute son attention semblant résider dans l’écoute de ses partenaires. Cependant ses interventions dans le bas de la tessiture demeurent très (et parfois trop) discrètes. Sa voix s’accompagne alors d’un souffle amenuisant quelque peu le timbre. Tout en conservant la suavité, le recours au registre de poitrine est le bienvenu, affirmant ainsi davantage de présence lorsqu’elle assume la partie la plus grave.
Anne-Laure Hulin, bien qu’encore étudiante au Conservatoire National Supérieur de Musique et de Danse de Paris, assure le remplacement d’Ana Vieira Leite très sérieusement. Sa voix, dans une accroche extrêmement centrée, offre la précision et la justesse idoine pour le répertoire. Si ses premières interventions sont quelque peu timides (et c’est bien compréhensible), elle gagne en assurance au fur et à mesure du concert, laissant apparaitre une interprète de premier rang aux côtés de ses comparses.
Contrairement aux chanteuses de Ferrare qui s’accompagnaient elles-mêmes, l’accompagnement des madrigaux est assuré ce soir par des instrumentistes faisant également partie de La Néréide. Le programme ayant été modifié, trois pièces instrumentales y figurent, révélant les talents de solistes des trois musiciens. Le claveciniste Yoann Moulin interprète une Passacaille de Luigi Rossi avec subtilité et une riche ornementation. A la viole de gambe, Manon Papasergio assume avec virtuosité les diminutions qu’Orazio Bassani écrivit sur l’air « Susanne un jour » de Lassus. Elle intervient également avec sa harpe, ajoutant une touche féérique à l’accompagnement des madrigaux. Gabriel Rignol alterne ses interventions entre guitare et théorbe avec lequel il interprète avec rigueur et précision Canarios & Sfessaina de Kapsberger.
La chaleur italienne promise par Camille Allérat en début de concert semble avoir gagné le public qui remercie les artistes par des applaudissements soutenus. L’Ensemble La Néréide offre un bis, « Come dolce hoggi l’auretta » de Monteverdi, avant de laisser le public retrouver le temps pluvieux à la sortie de l’église.