Bravi Tutti, Bis
Ce concert met ainsi sous les feux d'une rampe (de lancement) ravivée de jeunes voix, ou plutôt des voix déjà (presque toutes) bien affirmées de jeunes artistes. Leurs mentors les accompagnent, les prenant sous leurs ailes, mais surtout les incitant à pleinement déployer les leurs. Les choix des morceaux permettent ainsi aux jeunes artistes de déployer tous leurs talents, dans de grandes scènes solistes (en première partie de récital, lorsque l'énergie est la plus grande), des duos avec leurs mentors, mais aussi dans des ensembles et de petites scènes jouées soulignant aussi leur appétence théâtrale au travail délicat.
Abel Zamora s'affirme et s'impose ainsi déjà en ténor à l'italienne, caractérisé par ce timbre solaire, intense, et vibrant, semblant instinctif et naturel mais assis sur un contrôle de toute la tessiture, le tout menant naturellement vers l'aigu facile, comme il semble mener vers une belle carrière (il lui suffira de continuer à développer la puissance de sa projection et son volume, afin de ne garder la consistance légèrement voilée qu'en effet expressif passager). Son jeu allie déjà la vaillance et l'imploration (en même temps, là encore dans un registre des plus typiques du genre). Dans son français, pourtant maternel, son application dans l'articulation et la clarté perd pour l'instant de sa sûreté vocale.
Margaux Poguet (soprano) peut déjà déployer fougue et intensité au service d'une voix déjà pleinement maîtrisée, avec générosité et souplesse dans tout l'ambitus et le phrasé : dans l'épaisseur (sombre jamais obscure) ou la finesse (claire jamais diaphane), du bout ou du profond de la voix et du souffle (tenu jusqu'en fins de phrases), de grave vibrés et d'aigus ornés. Seules ses vocalises perdent un peu la justesse.
Léontine Maridat-Zimmerlin (mezzo-soprano) met d'abord en avant une jeunesse hésitante, avec un vibrato un peu mobile et du souffle dans la voix. Mais le public se rend bientôt compte qu'il s'agit d'un jeu expressif, notamment lorsqu'elle avance d'autant mieux les bras, le corps, la voix vers des accents lyriques sans perdre en équilibre et en homogénéité, avec une projection et une prosodie aussi travaillées que naturelles. Son médium notamment s'accroche bien dans la matière vocale et installe les phrasés.
Apolline Raï-Westphal a une voix de soprano placée dans le masque et pincée de coton. Elle en surgit d'autant mieux par l'éclat de grands accents, fréquents et intenses. Dans le decrescendo, des notes décrochent un peu mais elle nourrit le médium, sachant ouvrir ou refermer l'articulation pour déployer son registre et ses effets, avec un vibrato très rond et très souple.
Cécile Madelin demeure en retrait par rapport à tous ses camarades. La voix est juste, le phrasé tenu, ses personnages insouciants mais le résultat reste peu perceptible. Toutefois, sa constance dans cette voie, d'une interprétation mesurée, mène quelque peu cette discrétion à passer pour un choix artistique qui invite à l'attention du public (dans le jeu comme dans la voix).
Président du Fonds Tutti, Philippe Do donne le La de cette entreprise généreuse et bénévole. Il donne même ce soir de sa voix (très en-dehors et bien sonore), pour remplacer Alexandre Baldo (l'un des jeunes lauréats de l'année dernière, sollicité désormais comme artiste invité, mais malheureusement souffrant ce soir).
Lorsque Lyriel Benameur (lauréate 2022) fait un pas en avant, il est aussi de côté (en diagonale donc), soulignant son caractère de jeu et de voix, délicat et discret. Son chant résonne néanmoins grâce à un appui grave chaleureux qu'elle sait appuyer et tisser jusque vers les aigus, toujours bien en place, en mesure et en cadence.
Elle compose avec Claire de Monteil (également lauréate 2022) un duo hétérogène, celle-ci déployant une matière opulente dans tout l'espace acoustique. Sa puissance vient surtout de la richesse de son soutien et de son timbre. Elle sait alléger dans les longs phrasés mais se retrouve en difficulté dans les passages plus rapides et vocalisants.
Réinvitée également, Elsa Roux Chamoux appuie sur le médium grave. La voix manque un peu en-dessous mais s'élance néanmoins vers le médium et l'aigu sur des reflets en clair-obscur.
Les mentors font démonstration de leurs talents, pour encourager leurs protégés individuellement (ceux-là déploient leurs pleines mesures pour inciter ceux-ci à en faire de même). Les artistes de métier offrent aussi à cette soirée de gala la générosité de leurs interprétations. Le duo entre Karine Deshayes et Clémentine Margaine (déjà mentor l'année dernière) allie ainsi deux chanteuses habituées des plus grandes maisons internationales d'opéra. Elles ne se privent pas d'emplir l'Athénée d'un volume sonore impressionnant, la seconde creusant et appuyant le grave tandis que la première sait affiner et soulever sa ligne de chant sans rien perdre de son ancrage rayonnant.
Olga Bezsmertna quoique soprano installe un grave strié pour monter vers un aigu tranchant l'espace acoustique, avec une maîtrise de la puissance de son volume et de ses intentions, construisant un phrasé de matière. Le baryton Johannes Martin Kränzle garde une voix de métier et de caractère qu'il sait appuyer ou adoucir, volontaire ou plus suave de jeu et de chant, projetée ou retenue en intenses soufflets.
Même souffrante, Norah Amsellem a tenu à accompagner sa protégée, rappelant aussi toute l'importance d'un guide (les jeunes voix suivant les conseils et les exemples, y compris lorsqu'une voix souffrante s'écarte de la voie lyrique et de la justesse).
Le rôle de pianiste-accompagnateur consiste ce soir, très longtemps et essentiellement dans ces réductions faites pour valoriser le bel canto, à répéter des arpèges égrenés. Pour animer un peu cette tâche peu enthousiasmante, Matthieu Pordoy se lance sans crier gare dans des changements de tempi ou de nuances sans liens véritables avec le passage en question, avant de revenir au texte pour ne pas perdre les chanteurs qu'il accompagne (sauf lorsqu'il doit tapoter sa tablette numérique, plus encore que son piano, pour retrouver la bonne page de sa partition). Il alterne dans cette mission avec le pianiste Emmanuel Christien, qui choisit lui une souplesse et un balancement général, conservé tout du long.
Les 14 chanteurs et deux pianistes donnent dans un tutti de générosité et de décibels "C'est l'amour" de la Princesse Czardas puis en un bis (peu répété, rappelant l'importance du métier) I Got Rhythm (Who could ask for anything more?).
Le public applaudit à tout rompre et adresse ses Bravi, à fond et à tutti à ce Fonds Tutti.
Retrouvez également notre compte-rendu de la première édition