Paradoxale messe terre à terre de Limoges
Un décor tout blanc, ça tâche, tout le monde le sait. Surtout quand l’objectif est d’y mener un atelier géant de maniement de l’argile. C’est cette impression de saleté envahissante (si contrastante avec la pureté de la musique du « divin Mozart ») dont le public de l’Opéra de Limoges se plaint en sortant de la salle après cette Messe en ut rebaptisée Nous sommes la terre. Dans ce spectacle, acteurs, solistes et choristes sont tous vêtus d’un même costume de ville. Une symbolique se met en place, pas toujours claire (si on imagine que les mannequins portés dans le dos par certains chanteurs représentent leur âme dont ils finissent par se détacher, la présence d’un homme à tête de cheval reste mystérieuse même après la représentation). En la matière, la quête de sens est d’ailleurs freinée par l’absence de surtitres, certes fréquente dans les représentations du répertoire sacré, mais qui ne permet pas au public non averti de relier ce qu’il voit aux mots qu’il entend. Plus tard, douze chanteurs entourent un acteur autour d’une table, comme une Cène en scène. En ces temps pascals, ce dernier ne rompt pas le pain mais la glaise, dont ses disciples se recouvrent, s’affublant de protubérances monstrueuses dans un « rituel étrange » de « transformation des corps » (selon la note d’intention).
Mais voilà, c’est justement dans cette impression visuelle désagréable que repose (volontairement ou non) le sens profond de ce spectacle, qui agit finalement comme un pamphlet. Quelques jours après Pâques, ce spectacle semble se sacrifier et sacrifier Mozart pour passer un message transcendantal. Le spirituel y est littéralement confronté au matériel, et le verdict est sans appel. Il montre à quel point le terrestre détourne du divin, l’efface et le souille. Le spectateur, dont l’attention est constamment captée par des gesticulations, des provocations (comme les bruits de mitraillette qui font sursauter les spectateurs) ou de vaines questions, ne peut plus se concentrer sur la musique, qui pourtant est remarquablement interprétée. Il provoque même une réflexion plus générale sur la pratique artistique, qui n’élève plus l’âme dès lors qu’elle ne cherche plus qu’à choquer. L’image finale est à ce titre parlante : les protagonistes sont plongés dans un enfer rouge et fumant, dansant comme en boîte de nuit sur une musique électronique reprenant vaguement celle de Mozart. Tout y est explicite.
En fosse, Nicolas André tire le meilleur de l’Orchestre Symphonique de l’Opéra de Limoges Nouvelle-Aquitaine, veillant constamment par de grands gestes didactiques ou expressifs aux équilibres, aux nuances et à la consistance du son. Il joue aussi des silences et des résonnances pour imprimer dans les cœurs les harmonies mozartiennes. Le Chœur de l’Opéra de Limoges participe pleinement à l’activité scénique, s’y jetant avec conviction. Il se montre par ailleurs précis dans ses interventions vocales, construisant un son doux et dense.
Les deux sopranos sont les plus sollicitées. Si certains spectateurs peinent à les différencier visuellement (elles sont toutes les deux brunes et portent le même costume), leurs voix les distinguent avec clarté, y compris dans leurs enchevêtrements durant leurs duos. Claudia Muschio impressionne par ses lignes vocales caressantes, son timbre velouté et son émission soignée jusque dans des aigus éclatants. Chiara Skerath dispose d’une voix plus froide, très pure et qui s’ambre dans le grave, portée par un long souffle et un vibrato bien présent. Chez les hommes, le ténor Enguerrand de Hys s’investit pleinement dans la mise en scène, la défendant avec énergie. Il sert aussi la partition de sa voix riche au timbre corsé. Tomislav Lavoie dispose d’une voix de basse claire au beau grain, qui pourrait apporter plus de présence à la structure du quatuor final.
Le public applaudit finalement l’ensemble des protagonistes, avec un enthousiasme particulier pour Claudia Muschio et sans exprimer de mécontentement particulier vis-à-vis du metteur en scène. Quelques minutes plus tard, alors que certains spectateurs discutent encore en salle de ce qu’ils viennent de voir, les artistes vocaux reviennent à vue prendre des selfies sur scène et reçoivent une nouvelle salve d’applaudissements, pendant que les techniciens commencent à nettoyer le plateau.