Agonie pascale et résurrection de mélodies à Toulouse
Le programme met à l’honneur deux compositeurs francophones. Tout d’abord Gabriel Fauré, natif de la région et dont 2024 commémore le centième anniversaire de la mort. Une suite d’orchestre de sa musique de scène pour Pelléas et Mélisande (celle en cinq titres avec la chanson de Mélisande dans son anglais originel) est interprétée ainsi que cinq mélodies. Si Gabriel Fauré est bien connu pour ses très nombreuses mélodies (piano-chant), celles-ci sont une redécouverte (à ne pas confondre avec les cinq mélodies "de Venise" de son opus 58 écrites quelques années après). Il s’agit en effet d’une version orchestrée par le compositeur lui-même pour les quatre premières (Clair de lune, En prière, Chanson du pêcheur, Roses d’Ispahan) et par André Messager pour la dernière (Tarentelle). Ces partitions tombèrent dans l’oubli peu après la mort de Gabriel Fauré, jugées trop coûteuses à donner en concert. Le Palazzetto Bru Zane, partenaire du concert de ce soir, aura su les dénicher dans les archives de la Bibliothèque Nationale de France. Autre curiosité de la soirée, les Sept Paroles du Christ en Croix de César Franck qui tombent à point nommé à quelques heures du vendredi saint et dont le thème n’est probablement pas étranger au titre « résurrection » choisi pour le concert. Là encore, l’Histoire est particulière. Cette œuvre est non seulement oubliée mais absente des catalogues liés au compositeur. Elle ne fut découverte que dans les années 1950 et créée deux décennies plus tard. L’œuvre est composée sur des textes en latin issus de l’ancien testament. C’est donc un concert de raretés que propose l’Orchestre du Capitole ce soir qui met à l’honneur la musique française.
Cet orchestre amené par les mouvements souples d’Ariane Matiakh donne une interprétation feutrée du programme. Non sans relief mais avec des transitions arrondies et progressives caressant l’oreille de l’auditeur. Cette sonorité cotonneuse au sens noble du terme, peut se rapporter au caractère éthéré voire religieux des compositions données. Ariane Matiakh s’emploie avec succès à donner aux riches mais subtils détails de ces partitions toute leur valeur, tels que les motifs de violons se greffant sur le thème principal de la fileuse. Elle parvient à créer dans de nombreux solos instrumentaux des ambiances intimes, resserrées autour des musiciens concernés, à la limite de la musique de chambre. Ces solistes particulièrement exposés prouvent leur qualité en jouant leurs parties avec autant de virtuosité que de sobriété. Le volume global est modéré mais s’intensifie à quelques moments pour renforcer leur solennité ou leur importance dramatique, en particulier lors de la mort de Mélisande ou pour contraster avec la douceur initiale du chœur dans la deuxième parole.
Le Chœur Orféon Donostiarra, tout droit venu d’Espagne et identifiable par les aubes blanches que portent ses sections féminines, a l’habitude de collaborer relativement régulièrement avec l’Orchestre du Capitole, au moins depuis l’époque de Michel Plasson. Il s’avère uni ce qui se remarque en particulier dans les pianissimi à la limite du murmure qu’il exécute avec homogénéité. Il renforce ainsi le caractère céleste de ces moments et marque l'agonie du Christ sur sa croix. Il offre par ailleurs des progressions bien appuyées par l’orchestre et les cuivres symbolisant alors le retour de la force divine.
Quelques difficultés se font sentir pour la soprano Florie Valiquette, à commencer par l’anglais de la chanson de Mélisande dont les paroles sont peu identifiables. Le français des mélodies lui convient beaucoup mieux. Le médium est sobre et manque même un peu de projection comparé à ses aigus puissants et cristallins t(e)intés de subtils effets. Elle montre de la souplesse dans la mélodie mais quelques défauts de souffle viennent perturber le phrasé, en particulier dans les roses d’Ispahan. Elle révèle par contre son potentiel dans les Sept Paroles du Christ sur la Croix. Le ton de la voix laisse entrevoir les plaies béantes du Christ. Ses lignes de chant marquent la progression dans la souffrance et l’affliction christique. L’ancrage de sa voix renforce le poids de ses mots. Elle montre son assurance dans le duo a cappella avec Julien Behr. Elle porte en outre une longue robe noire à manches, bien choisie pour l’occasion.
Le ténor Julien Behr présente une diction qualitative mais le phrasé désordonné ne permet pas d’apprécier pleinement la richesse linguistique des mélodies. C’est en particulier le cas dans le Clair de lune mais la voix semble s’échauffer et devient plus projetée dans la Tarentelle où il crée un réel entrain dans son duo avec Florie Valiquette. Comme elle, c’est aussi dans les Sept Paroles du Christ sur la Croix que l’essence de sa voix devient pleinement appréciable. La pureté du timbre éclot lors de la deuxième qui laisse plus de place pour la stabilité des aigus. Elle demeure à la septième où les effets épurés de la ligne de chant renforcent sa clarté. Il y maîtrise son souffle pour y tenir sans discontinuer les longues phrases qui lui incombent. La légèreté et l’élan gracieux de son chant créent dans la troisième parole un contraste intéressant avec l’implantation plus affirmée de celui de la soprano.
Le baryton Jean-Sébastien Bou est le plus régulier entre les deux parties du concert. Sa voix est pleine, ouverte et puissante. Elle s’adapte au sens des vers chantés. En particulier dans la très réussie En prière où le volume est modulé, monte pour les appels pieux et redescend pour les introspections plus intimes. Les harmonies avec l’orchestre sont étudiées. Le sens des mots est pris en compte dans le phrasé et les inflexions de la voix ce qui renforce leur effet sur l’auditeur. Sa lamentation profonde de la cinquième parole contraste avec la puissance céleste du chœur et de l’orchestre (emplissant la salle) qui la précède et la suit.
Porté par une direction soignée, l’Orchestre national du Capitole et ses forces d’appuis invitées pour la soirée auront ainsi permis de "ressusciter" ces chefs d’œuvres avec la dimension qu’ils méritent. Leur manque de notoriété n’a pas encore permis d’attirer une quantité de public à la hauteur de l’évènement mais ceux qui sont présents auront su féliciter les interprètes avec conviction par leurs applaudissements.