Matthias Goerne & Evgeny Kissin, subtile intimité au TCE
Réunis par ce premier programme de récital commun, Matthias Goerne et Evgeny Kissin réunissent deux compositeurs incarnant deux volets complémentaires du romantisme (la passion éperdue de l'un nourrissant les formes musicales classiques, et réciproquement pour l'autre). Deux compositeurs profondément (ré)unis par leur admiration envers la poésie traduite en musique (tout comme d'ailleurs leur admiration passionnée envers également la pianiste-compositrice Clara Wieck –qui deviendra Clara Schumann). Des passions traduites de manière sensible et à nouveau ce soir en un programme de Lieder.
Immédiatement, Matthias Goerne enveloppe l’auditeur de son timbre profond au grain sombre. Sa ligne vocale est longue et pleinement soutenue, offrant des phrasés aussi fluides qu’aérés. Son sens de la narration s’adresse à son auditoire en laissant volontiers vivre sa gestuelle, sans tomber néanmoins dans une exubérance inutile. Il captive ainsi l’attention du public, plongé dans une écoute quasi religieuse. Grâce à cette présence scénique naturelle et son indéniable maîtrise technique, le baryton transmet avec constance la beauté et la sensibilité de la poésie portée par la musique. Sa voix est aussi bien de largesse et de puissance que de finesse et d’intimité. Les nuances piano sont absolument piano et pourtant absolument présentes, parfaitement audibles et compréhensibles. Ce soin extrême porté à la moindre phrase, textuelle et musicale –les deux étant rendues dans leur résonance intrinsèque–, est porté jusque dans le registre aigu, allégé en gardant une certaine texture, une indéniable présence sans jamais être forcé (comme des caresses ou des élans de sensibilité touchants).
Le lien essentiel entre musique et parole est ainsi exprimé par le chant, ainsi que pleinement par et avec le piano. Bien plus qu’accompagnateur, Evgeny Kissin est un compagnon de voyage qui soutient la voix avec un équilibre subtil. Le touché sûr du clavier est maitrisé avec une minutie extrême dans chacun de ses gestes : la moindre nuance, le moindre rythme –si prenant chez Schumann– et le moindre phrasé sont pensés et justifiés. Le pianiste ne s'en montre toutefois pas moins souple, aussi limpide que léger. Tout comme son acolyte, il sait également propulser des élans animés. Cette rencontre entre deux grands musiciens n'est pas forcément patente sur le plan du contact visuel, rendant de ce fait avec d'autant plus de profondeur leur écoute mutuelle, attentive aux moindres intentions et propositions de couleur.
Le public se montre fort reconnaissant de ce moment de partage et d’intimité, saisissante même dans une aussi grande salle.