Lyrisme Symphonique au Festival de Pâques d’Aix
Le premier concert de ce Festival de Pâques d’Aix-en-Provence 2024 proposait une Sonate pour violon et piano du jeune Strauss (notre compte-rendu Classykêo), ce deuxième concert propose son œuvre posthume, testamentaire, monumentale : ses Vier letzte Lieder (Quatre derniers Lieder).
Nulle nostalgie d’un âge d’or originel, mais reconnaissance pour un langage artistique contenant en germe les réalisations du présent : tel est l’enjeu pour la voix qui porte le discours, et s’insère dans la texture, le timbre et la structure de ces quatre instantanés. La matière musicale, pourtant dense, s’écoule dans les méandres de l’espace acoustique du Grand Théâtre de Provence.
Hanna-Elisabeth Müller, depuis sa stature de vestale romantique dépose les mots à mots de sa partie, d’une langue Allemande profondément littéraire (Joseph von Eichendorff et Hermann Hesse). Les voyelles s’étirent dans l’extase et la plainte, les consonnes flamboient fugacement depuis l’extrémité soufrée de petites allumettes. Le timbre est couleur de bois précieux, clair et vernissé dans l’aigu, sépia dans le médium, avec un placement de la voix naturellement haut, porté par un vibrato rapide et régulier. En cela, le médium n’est jamais assourdi, en dépit de la grande forêt orchestrale, qui déploie ses essences derrière la chanteuse.
De fait, la singularité de l’interprétation réside dans sa capacité à se glisser sous et sur la partie orchestrale, en termes de décibels et de timbre. La puissance de projection est calibrée, à l’intérieur de chaque Lied comme dans la succession du premier au dernier, en connivence avec le déploiement des forces instrumentales, jusqu’à l’acmé du crépuscule. Ainsi, la ligne de chant ondoie-t-elle sur des reflets d’argent, tels des sequins caressés dans un sens puis dans l’autre, tandis qu’un souffle perceptible donne une couleur automnale.
La partie vocale est garante de la justesse de l’ensemble, comme le hautbois lors de l’accord initial. Hanna-Elisabeth Müller endosse cette responsabilité sereinement, l’écriture semblant lui confier, comme à l’inverse de l’air accompagné, le cheminement harmonique. En découle cette magnifique impression que la partie vocale s’échappe de l’orchestre pour monter vers le ciel, comme le sillage vaporeux d’un encensoir, d’un ascenseur rêvé. La soprano offre en rappel un Lied de la même eau, mais précoce et baptismale : Morgen (Demain), le dernier d'un ensemble de quatre autres Lieder composés bien avant, en 1894.
La direction de Christoph Eschenbach est élégante et attentive, ondoyante et créative, dès les premières notes. Les cordes sont épidermiques, déployant les grands espaces imaginés et traversés. Le cor s’allie au violon solo, l’ensemble gravant la signature instrumentale de l’œuvre.
La deuxième partie du concert déploie la monumentalité, encore, de la Symphonie n°2 d’Anton Bruckner. L’Orchestre symphonique de Bamberg vibre sous la baguette sismographique du maestro, déployant une pâte ronde plus que transparente. Les ressorts compositionnels, qui mettent les dualités musicales à l’épreuve de la grande forme symphonique : l’aigu et le grave, le compact et le diffus, la lourdeur et la légèreté, sont particulièrement soulignés. La coda de chacun des mouvements de la symphonie sonne comme le dépassement de ces dualités, une communion des forces sonores de l’orchestre avec la Nature.
Le public, dont la concentration s'accroît avec le déroulement profond de la musique tout au long de la soirée, applaudit le spectacle de concert, selon une longue et fervente ovation.