Faust berliozien au TCE : pas de quoi se damner
Voici la première œuvre choisie pour fêter les 90 ans de la création de l'Orchestre National de France, fondé en 1934. Œuvre complexe, "légende dramatique" inspirée de Goethe et de Nerval, La Damnation de Faust fascine par la richesse orchestrale qui la compose autant que par la variété de ses ambiances, oscillant entre la bouffonnerie et le drame noir avec une rapidité toute romantico-dramatique.
Ce soir, l'orchestre fait montre d'une vitalité et d'une énergie intactes, avec des couleurs cuivrées et denses qui innervent l'intrigue, bâtissant des paysages saisissants et profonds, de la virevoltante marche hongroise à la cavalcade endiablée, faisant honneur à la férocité rythmique et orchestratrice berliozienne. À sa tête depuis quatre ans, Cristian Măcelaru guide ce flot sonore avec une attention particulière pour les chanteurs, dont il ne couvre jamais les voix et pour lesquels il semble adapter sa pulsation, au risque parfois de sacrifier l'ambiance aux contraintes vocales. C'est d'ailleurs l'élément conflictuel du concert, qui ne permet jamais à l'œuvre de s'émanciper tout à fait ou de se détacher d'une exécution par trop appliquée, le trio vocal ne parvenant que rarement à se hisser au niveau de l'engagement instrumental, laissant une impression mitigée d'inachèvement.
Malgré un jeu en retrait, l'incarnation frêle de John Irvin donne à Faust une touchante vulnérabilité, tirant le personnage vers un romantisme naïf (voire obtus). La voix, au timbre centré un brin nasal, conserve son homogénéité sur l'ensemble de la tessiture, modulant intelligemment les phrases pour offrir un chant soigné, d'une diction précise, qui peine cependant à s'épanouir tout à fait, la rigueur du technicien prenant trop souvent le pas sur la souplesse de l'artiste.
À ses côtés, Paul Gay est un Méphistophélès goguenard à souhait avec une voix noire et engorgée manquant d'une plus grande subtilité dans le chant et la caractérisation. L'acteur, très à son aise, d'une générosité sans cesse réinvestie, privilégie la dimension grotesque plus consensuelle du personnage au détriment de son ambiguïté séductrice. Le son est trop souvent émis forte, ce qui ne permet ni au phrasé de s'assouplir ni au timbre de conserver une rondeur sur l'ensemble de l'ambitus, le haut registre perdant parfois sa couleur dans un chant où manquent un legato plus affermi et des nuances plus musicales.
Stéphanie d'Oustrac est une Marguerite investie, au charisme immédiat, dont la voix de velours moiré emplit sans peine la salle dès son entrée. Toutefois la chanteuse ne parvient pas à dissimuler les difficultés que lui procurent la partition. Plus à son aise dans le premier air, dont elle rend tout l'onirisme inquiet, le souffle s'écourte par moments, notamment dans le duo nocturne avec Faust, les notes les plus élevées étant projetées avec un effort visible, voire durcies dans le second air, le grave parvenant comme voilé. Si l'engagement théâtral si caractéristique de l'artiste est goûté, les contraintes techniques prennent trop souvent le pas sur la musicalité, contraignant cette dernière à une expressivité trop en surface, qu'une diction un brin apprêtée éloigne de la justesse de l'émotion.
En Brander, compagnon de beuverie de Méphistophélès et de Faust, Frédéric Caton se fait sympathique et espiègle. Sa voix sonore est élégamment projetée dans son unique air.
Sans doute le grand triomphateur de la soirée à en juger par l'applaudimètre, le Chœur de Radio France, sous la direction de Josep Vila I Casañas, donne à entendre un son vibrant d'une grande intensité malgré une acoustique peu flatteuse en raison de son retrait important de l'avant-scène. Si les pupitres féminins perdent parfois en homogénéité, notamment dans la rédemption finale de Marguerite, l'ensemble est d'une efficacité théâtrale à toute épreuve, rendant crédibles aussi bien les accents ivres de la beuverie, que le recueil solennel de l'oratorio ou l'effroi des invocations infernales, le son conservant une direction et une concentration même dans les passages les plus exposés.
Ce bilan, inégal, est toutefois généreusement applaudi, la salle redoublant d'acclamation à la levée de l'orchestre, dont la générosité est une fois encore saluée.