Le Ring de l'Opéra Royal Versailles continue son épopée avec La Walkyrie
La volonté de jouer du Wagner dans l'Opéra Royal n'est guère nouvelle, et en 1890, il avait même été question d'en recouvrir la fosse -comme cela est le cas à Bayreuth- dans le cadre d'une série de représentations. Tel ne sera toutefois pas le cas aujourd'hui et le public retrouve la totalité des artistes sur scène. Notre premier compte rendu (à retrouver ici) développait déjà les similitudes acoustiques entre les auditoriums versaillais et sarrois, notamment en termes de volume (875 places à Sarrebruck, 650 à Versailles). L'effectif orchestral est toujours somme toute modeste pour un Ring (4 contrebasses pour autant de cors et tubas wagnériens, 6 violoncelles, 12 premiers violons et 10 seconds) et en dehors d'un trombone durant la fin du deuxième acte, il n'y aura cette fois plus de musique hors-scène. Toutefois, ce format réduit a l'avantage d'exposer l'ensemble des pupitres, et d'accentuer la souplesse du rendu orchestral, jamais tonitruant, tout au long de ces 3h40 de musique. Le placement des cuivres en fond de scène permet une atténuation sonore de ces derniers grâce à l'absence de conque qui n'est pas sans rappeler l'acoustique du Festspielhaus bayreuthien -l’effet sourdine en moins-, au point que le cor seul dans la chevauchée paraîtra presque tenu en comparaison du reste de l'effectif.
La direction de Sébastien Rouland, toujours précise dans sa gestuelle tout en restant souple, met en exergue la quintessence romantique de la partition wagnérienne et en accompagne remarquablement les montées en intensité dramatique. La vision analytique du chef permet également de mettre en exergue tant les leitmotivs que leurs intrications. Si le rendu général demeure toujours fort propre, une ou deux fausse note à l'attaque des bois ainsi qu'une baisse de concentration des violoncelles un court instant font hausser le sourcil aux wagnériens les plus chevronnés de l'assistance à deux ou trois reprises durant le premier acte, avant que tout, fort heureusement, ne rentre dans l'ordre. L'ouverture du deuxième acte permet à la phalange de marteler avec entrain des attaques entêtantes, portées par des cordes nerveuses et remarquées.
En Sieglinde, Ingegjerd Bagøien Moe déploie un timbre rond et large faisant la part belle aux harmoniques aigus, tout en demeurant également très présente dans les graves de sa tessiture. La mise en place rythmique est, de même que la longueur de souffle, un non-sujet pour la soprane. Même en version concertante, l'incarnation scénique, particulièrement travaillée, vient renforcer l'intensité dramatique du personnage. De femme réservée au premier acte, le jeu prend toutefois une ampleur dramatique tout autre dans le second, pour devenir singulièrement touchant durant le duel entre son frère et son mari.
Pour lui répondre, le Siegmund de Peter Sonn fait quant à lui état d'une grande clarté des voyelles ainsi que d'une nette articulation. La constance de la tenue des lignes de chant ainsi que la mise en place rythmique lui permettent une aisance dramatique incontestée dans les monologues de son personnage au premier acte. Le vibrato, maîtrisé, tend à s'élargir dans les exclamations.
Pour incarner son antagoniste, le Hunding de la basse profonde Hiroshi Matsui (qui incarnait déjà Fafner l'année dernière) offre à nouveau son timbre large et puissant, sa tessiture lyrique et toute son intensité dramatique au service du personnage, en mettant cette fois-ci davantage l'accent sur ses aspects antipathiques et revêches.
La Brünnhilde de Aile Asszonyi tient de l'archétype wagnérien. Timbre large et puissant, tessiture lyrique, technique aisée et projection confinant à l'insolence tant cette dernière paraît aisée. La mise en place rythmique n'est pas en reste pour autant, en dehors d'une ou deux entrées précoces. Pour aborder ce rôle himalayen, la soprano peut également compter au demeurant sur une intensité dramatique que vient accentuer sa présence scénique naturelle, sa musicalité et son excellente longueur de souffle.
Thomas Johannes Mayer campe quant à lui un Wotan au timbre légèrement voilé et à la tessiture relativement légère en comparaison, mais porte le rôle fleuve sans coup férir jusqu'aux saluts, grâce notamment à une très bonne projection dans les graves, une articulation remarquée et une dynamique récitative particulièrement efficace dans ses phrasés. Systématiquement expressif, sa vision du personnage, mettant l'accent sur le tiraillement entre son statut divino-patriarcal et sa soumission aux injonctions de son épouse puis sur celui entre la fureur et sa profonde affection pour sa fille, trouve un écho singulier dans le rendu orchestral confinant par moment à l'intimiste, dans la fin d'un troisième acte toujours déchirante.
Judith Braun campe à nouveau le rôle d'une Fricka toujours altière grâce à la rondeur de son timbre ainsi qu'au lyrisme de sa tessiture et à sa fort bonne longueur de souffle. Constante dans sa projection sur l'ensemble de sa tessiture, l'articulation et la rythmique demeurent à l'instar de l'année précédente, toujours aussi solides. Elle se muera en Waltraute pour le troisième acte, rejointe par Elizabeth Wiles -qui incarnait déjà Freia dans le Rheingold-, Liudmila Lokaichuk, Maria Polańska, Valda Wilson, Joanna Jaworowska, Clara-Sophie Bertram et Carmen Seibel qui forment un ensemble de walkyries disparate dans les timbres mais remarqué de cohérence sur le reste, grâce à une très bonne articulation, une mise en place rythmique consciencieuse ainsi qu'un équilibre des projections de chacune.
Le public versaillais, où se devine une grande pluralité de nationalités, au vu des langues parlées aux entractes, demeure remarquable d'attention du début à la fin. Rarement aura-t-on d'ailleurs vu aussi peu de départs au second entracte pour une œuvre aussi longue. Ce sont ensuite des applaudissements particulièrement chaleureux qui viennent saluer chacun des artistes.
Siegfried est maintenant annoncé le 25 mai 2025. Au vu de son enthousiasme, une bonne partie de cet auditoire semble bien embarqué pour toute cette Tétralogie.