“Und” en monodrame lyrique à l’Opéra de Massy
Und, pièce écrite par Howard Barker en 1999, renvoie bien évidemment à une tradition théâtrale notamment illustrée dans le courant du XXe siècle, par les influences de Beckett et de Cocteau. Eux aussi ont immortalisé des monologues, de femmes, attendant. L’attente de l’amant, accrochée au téléphone dans La Voix humaine de Cocteau a ainsi été mise en musique par Poulenc. Erwartung (L’Attente) est également un opéra sous forme de monodrame (pour un seul personnage), composé par Arnold Schönberg sur un texte de Marie Pappenheim.
D’ailleurs, les femmes de ces monologues se perdant elles-mêmes dans des amours et des attentes éperdues, les dramaturges ont tendance à ne pas leur donner de nom et/ou d’histoire (de passé). Ici, la protagoniste se nomme simplement "Und" (ce qui n’est en allemand qu’une conjonction de coordination : “Et”, la renvoyant seulement au lien amoureux qu’elle voudrait tisser et qui va la détruire). Und est une femme de l’aristocratie juive qui attend éperdument et fébrilement l’arrivée imminente de son amant, un haut-gradé, militaire allemand (ce texte est ainsi une parabole des liens entre Juifs et Allemands à l’aube de la Seconde Guerre Mondiale). Fascinée, elle oscille entre admiration et crainte, son amour dévoilant progressivement l’étendue de ses souffrances. Des dialogues avec des domestiques tout aussi invisibles rythment le monologue, mettant en lumière la solitude de cette femme face au danger imminent. Les serviteurs disparaissent de la maison, Und se retrouve seule, seule face à la terreur qui l’oppresse, prise au piège d’une escalade de tension jusqu'à un dénouement sinistre.
Natalie Dessay avait franchi le pas du chant lyrique vers le théâtre parlé avec cette pièce (dans cette même traduction française de Vanasay Khamphommala). L'Ensemble TM+ propose d’une certaine manière le chemin réciproque, en faisant d’Und une création lyrique, pour la soprano solo Gaëlle Méchaly.
Dans la mise en scène de Julie Delille, une ligne de chiens en plâtre rythme le parcours de Und d’un bout à l’autre du plateau. Elle paraît ainsi globalement statique dans ce moment d’attente angoissant, car avançant presque imperceptiblement, se libérant progressivement d’un lourd manteau de peaux, réalisé par Chantal de la Coste qui signe également la scénographie. Vers la fin de son chemin, le sol est relevé par un coin créant un miroir déformant dans lequel se reflète son image. Sur ce grand tapis-miroir de scène se réfléchissent les subtiles – mais parfois néanmoins brièvement brutales – lumières d’Elsa Revol qui éclaboussent le mur de fond. C’est aussi la lumière qui donne vie à la scène, produisant d’étonnants, bien que discrets effets de changements de perception de l’espace scénique. Le noir et le silence ponctuent ce fatal rapport désir/mort, tandis qu’émerge encore, même de plus en plus faiblement, la seule voix de Und répétant « nous »…
Les incohérences volontaires et les différentes strates du texte peuvent d’abord sembler obscures au spectateur, mais la musique de Daniel D’Adamo porte cette parole avec un alliage de juste sensibilité et de violence sous-jacente. Elle laisse bien évidemment la place centrale à la parole, devenant un parlé-chanté, oscillant entre souplesse et surtout cassures par les sauts d’intervalles. La soprano Gaëlle Méchaly, sonorisée pour des questions d’équilibre suit ces inflexions et sollicite surtout la douce chaleur de son médium, mais sait ainsi montrer des aigus fins et maîtrisés, soutenus par un vibrato bien dosé sur les tenues. Sa prestation endurante assume avec une parfaite constance ce monologue intense alliant sensibilité et vives tensions.
Les huit musiciens -et même neuf- de l’Ensemble TM+ font également preuve d’une précision saisissante dans l’interprétation de cette musique basée sur des cellules rythmiques et le travail de texture sonore, avec l’utilisation des multiples effets possibles par leurs instruments. Ils se montrent particulièrement attentifs à la direction de Laurent Cuniot, également directeur musical de l’ensemble, dont la gestuelle souple et ample, voire très caressante, reste extrêmement précise. L’électronique assurée par Yann Bouloiseau (musicien à part entière, de l’ensemble et de la partition) contrepointe le résultat avec grande minutie et parfois des effets de spatialisation et de surprise.
Reconnaissant l’important travail de l’ensemble des artistes, le public massicois applaudit avec même quelques bravi, bien que tous les spectateurs n'auront (à en juger certains témoignages) pas pu saisir toute la poésie brutale de l’œuvre, nécessitant assurément un peu de préparation.