Les scènes de méninges d’Alagna-Kurzak exaltent le TCE
Ils revenaient ensemble à Paris après avoir réjoui le public dans un Elixir d’Amour facétieux et volubile à Bastille fin 2015. Roberto Alagna et Aleksandra Kurzak, époux à la ville, montrent cette fois une autre facette de leurs personnalités et de leurs talents. Le glorieux ténor a d’abord changé de look depuis quelques mois. Adieu la longue chevelure dorée : il arbore à présent des cheveux courts poivre et sel, affichant fièrement sa maturité. Coordonnés, les deux chanteurs se présentent dans la première partie dans des habits argentés, avant de revenir après l’entracte dans des costumes sombres et sobres. Le répertoire abordé, partagé entre le bel canto et le romantisme français, est également bien différent, laissant une large place à des airs et duos d’amour tragiques, dont l’interprétation sensible et intelligente se prête peu à la réjouissante animation d’un Elixir, que le public retrouve toutefois avec bonheur en fin de programme.
Roberto Alagna et Aleksandra Kurzak dans l'Elixir d'Amour à Bastille (© Vincent Pontet)
Le concert débute par l’introduction orchestrale de Faust de Gounod. Le chef Giorgio Croci, complice de longue date d’Alagna, dirige l’Orchestre de Picardie, faisant émerger les différentes images musicales de la partition, de l’aube brumeuse jusqu'à l’éveil champêtre dans lequel se fond la mélancolie du personnage de Valentin dont la mélodie du grand air y est évoquée. Les graves dorés des violoncelles précèdent une montée de harpe musclée, les bois répondant ensuite aux cuivres dans un passionnant dialogue. Plus tard dans la soirée, l’ouverture du Roi de Lahore de Massenet permet à l’orchestre de déployer toute sa puissance, les vents délivrant d’appréciables accents guerriers, les cordes apportant du mouvement par leurs entrées en imitation. Le chef sautille pour donner de l’entrain à ses musiciens dans la Sinfonia de Jeanne d’Arc de Verdi. Les violons délivrent un son poignant dans l’intermezzo de Manon Lescaut de Puccini, annonçant les grands espaces de la Louisiane, mais interrompus ensuite brusquement par une grosse caisse tonitruante figurant le destin malheureux des amants. Ces très belles pages ne gomment pas totalement les regrets que laissent le manque de précision de l’entr’acte de Carmen ou l’absence d’enthousiasme sur l’ouverture de la Fille du Régiment.
Giorgio Croci (© DR)
Au cours de chacune des deux parties du concert, Roberto Alagna et Aleksandra Kurzak interprètent chacun une aria et deux duos. Avant l’entracte, le répertoire français est à l’honneur. Alagna en profite pour rappeler qu’il reste l’interprète de référence sur ce répertoire, de par son phrasé offrant une parfaite compréhension de chaque mot et une musicalité raffinée. Ses portandi si caractéristiques conduisent à des aigus d’une admirable vaillance. Sa capacité à habiter ses personnages impressionne dans son air de Samson (Saint-Saëns) : se touchant les yeux, il indique comme une évidence au public la cécité de son personnage, dont la détresse est palpable. La main posée sur la balustrade protégeant le chef d’orchestre, il offre un jeu dépouillé, son vibrato intense, son legato éloquent et son timbre vocal suffisant à exprimer les sentiments des personnages qu’il incarne. Son grand air de Tosca, qu’il a tant chanté, laisse entrevoir un souffle infini et une émotion à fleur de peau, que le public salue par des vivats.
Roberto Alagna et Aleksandra Kurzak (© Tomasz Kulbowski)
Une partie du public aura découvert Aleksandra Kurzak dans le grand air d’Elisabeth dans Don Carlos. La musique imagée de Verdi (l’obscurité angoissante du cimetière) est parfaitement rendue par l’orchestre. La soprano laisse ses auditeurs sous le charme : bras ouverts ou les mains appliquées sur sa poitrine, elle émet des aigus cristallins tout en nuance, mais avec une intensité qui rend ses piani remarquables. Elle est ensuite une Adriana Lecouvreur douce et humble, dialoguant avec un violon vibrant et tendre. Son phrasé est élégant et délicat, tant en italien qu’en français.
Leurs duos leur offrent l’occasion d’afficher leur complicité et l’harmonieux mélange de leurs voix, qui fait passer un frisson dans la salle lorsqu’elles se superposent. L’extrait de Faust et Marguerite est langoureux et lancinant tandis que celui des Pêcheurs de perles de Bizet offre à Kurzak l'occasion de faire admirer un léger filin de voix suraiguë, vibrante d’émotion. Le célèbre et magnifique duo d’amour terminant l’acte I d’Otello est chanté avec sobriété, les baisers réclamés par le maure se faisant tendres et discrets. La voix du ténor emplit l’espace de la salle, y compris dans le registre grave, tandis que les lignes mélodiques de la soprano laissent le temps se suspendre. Enfin, lorsqu’ils reprennent le duo final de l’acte I de l’Elixir, leur évident plaisir est communicatif. Alagna joue l’ébriété, se grattant la tête et revenant régulièrement à sa petite fiole d’élixir qui lui arrache quelques hoquets, déclenchant les rires du public. Les deux époux se disputent alors, prenant à témoin le chef ou le premier violon solo.
Au moment des saluts, les deux chanteurs prêtent attention à l’ensemble du public, y compris ceux des côtés. Les applaudissements des spectateurs ravis et debout doivent être interrompus par le retour des lumières dans la salle, après trois rappels : le duo de la Veuve joyeuse de Lehár repris deux fois, et le brindisi de la Traviata (auquel le chef lui-même prend part d’une voix barytonnante). Les nombreux fans du couple pouvaient dès lors se presser pour profiter de la séance de dédicace offerte par les stars de la soirée.
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