Britten intime au Théâtre de l’Athénée
La composition de ces cinq Canticles, qui s’échelonnent sur près de trente années (de 1947 à 1974), témoignent indéniablement de l’évolution stylistique de l’œuvre de Benjamin Britten. S’appuyant sur des textes ou poèmes d’auteurs fort différents les uns des autres, ils alternent des écrits sacrés comme d’après le Cantique des Cantiques pour le premier (My beloved is mine and I am his) ou profanes (comme le quatrième Cantique, The Journey of the Magi de T. S. Eliot), tout en proposant une instrumentation différente et adaptée à chaque morceau. Ces derniers peuvent être assimilés par leur relative brièveté à des mini-oratorios. De fait, l’unité d’ensemble repose sur la profonde spiritualité qui imprègne chaque opus et par la présence en soliste principal d’un ténor. Afin de parfaire la mise en lumière de ces Cantiques et dans le souci d’une évolution plus strictement dramaturgique, les interprètes ont choisi de modifier l’ordre des Cantiques.
Le 2ème Cantique Abraham and Isaac vient ainsi clore la soirée dans la plus grande et spectaculaire profondeur, les voix de ténor et de contre-ténor (ou contralto) s’y épanouissant le plus pleinement : créé en 1952 par Peter Pears et la contralto Kathleen Ferrier, ce dialogue bouleversant entre Abraham et son fils autour du sacrifice que Dieu exige du père associe en osmose les deux voix réunies. Il s’agit ce soir de celles du ténor Allan Clayton et du contre-ténor Christopher Lowrey. Celui-ci possède une voix lumineuse et très claire de timbre, souple et d’une tenue exemplaire. Tout autant que son partenaire, il fait preuve d’une émotion à fleur de peau et constamment palpable par l’auditeur.
Le premier cantique, pour piano et ténor, et son interprète de la soirée, demeurent pleinement en place : remarquable interprète de Peter Grimes encore tout récemment à l’Opéra Garnier (notre compte-rendu), Allan Clayton révèle une voix radieuse et claire, saisissante par son engagement, large aussi mais capable de s’alléger presque jusqu’au murmure sans pour autant perdre de sa luminosité et de son impact (même lorsque l’artiste intervient depuis la coulisse). Ses interventions témoignent d’une sensibilité toute spécifique à cette écriture et au message qu’elle propose.
Pour le 3ème Cantique, Still falls the rain, ils sont rejoints par le corniste émérite Richard Watkins, tandis que la harpiste Olivia Jageurs accompagne en solo de merveilles Allan Clayton dans The Death of Saint Narcissus, 5ème et dernier opus des Canticles (créé en 1974 par le ténor et compagnon de vie de Benjamin Britten, Peter Pears). Le 4ème Cantique associe au piano le ténor avec baryton -ici George Humphreys à la voix autoritaire et parfaitement projetée- et contre-ténor, ce dernier type de voix se trouvant très présente dans l’œuvre générale du compositeur (une nouvelle occasion de pleurer le récemment disparu James Bowman).
Au piano, Julius Drake déploie ces mêmes qualités d’authenticité, mais aussi de précision et de générosité. Ponctuant la soirée de la lecture de textes anglais en corrélation avec les Canticles, la comédienne anglaise de théâtre, Dame Harriet Walter apporte un lustre encore plus particulier à cette soirée. Le public français la connaît notamment par ses interprétations au sein de séries télévisées anglaises fort populaires, The Crown (Lady Churchill) et bien entendu Downton Abbey (Lady Prudence Shackleton).
Le public du Théâtre de l’Athénée, manifestement placé sous le coup de l’émotion, met un bon moment avant de réagir par des applaudissements fournis, puis en rappelant avec insistance et à plusieurs reprises l’ensemble des interprètes de cette fort belle soirée.