La Traviata à Bastille, ou la "grâce" des réseaux sociaux
La soprano russe Kristina Mkhitaryan devait faire ses débuts à l'Opéra de Paris pour une seule date : cette dernière représentation, de cette reprise, mais s'étant retirée pour "des raisons personnelles", c'est au final la chanteuse américaine d'origine cubaine Lisette Oropesa qui entre à nouveau dans la robe -ici- pailletée, et, nonobstant, sur mesure de La Traviata, devenue ici influenceuse des réseaux sociaux. Lisette Oropesa a le double avantage d'avoir encore très récemment triomphé (le mois dernier) dans l'autre salle de cet Opéra de Paris (à Garnier, en Cléopâtre) et de connaître cette mise en scène, dont elle a incarné le rôle-titre à Vienne l'année dernière. C'était déjà avec Ludovic Tézier en Giorgio Germont mais avec Juan Diego Flórez en Alfredo, raison supplémentaire pour laquelle l'Opéra de Paris aurait eu bien du mal à demander à la maison autrichienne de lui passer leurs vidéos projetées dans ce spectacle. En effet, dans cette mise en scène 2.0, l'image des protagonistes est captée, et retransmise sur des écrans, défilant entre like et strass. L'Opéra de Paris avait d'ailleurs bel et bien capté et prévu de diffuser des vidéos prises avec Kristina Mkhitaryan, même pour une seule date. Au final, Lisette Oropesa a pour double virtuel Nadine Sierra (interprète de toutes les représentations précédentes de cette reprise). Mais Violetta Valéry, en ce dimanche après-midi, n'est nulle autre que Lisette Oropesa, triomphale de puissance mélodieuse tout en incarnant parfaitement la séductrice assumée. Son jeu et sa voix dynamique élargissent l'espace scénique et acoustique, sachant percer le mur d'orchestre et des c(h)œurs par ses accents, sans négliger les grands moments de douceurs et la claire déclamation du texte.
Le ténor René Barbera exprime à la fois la douceur et l'intensité d'Alfredo. Son registre s'étend sans se distendre pour donner la mesure de son envoûtement, dans un double contraste scénique d'autant plus expressif : avec l'expressivité de sa propre voix donc, et avec la présence flamboyante de Violetta.
Ludovic Tézier, fidèle à lui-même et à ce Giorgio Germont, affirme un caractère autoritaire avec toute la puissance de sa technique. Il traduit l'autorité morale de ce père avec une ligne d'airain, un timbre brillant et des phrasés tranchants, pour mieux plonger lui aussi dans le drame de saisissantes inflexions.
Cassandre Berthon propose un chant léger et apaisant (manquant d'attaques dans les débuts de phrases), à l'image de son réconfortant personnage d'Annina.
Dans son esprit, la nouvelle "troupe" maison confie à ses membres de petits rôles. Le Baron Douphol est interprété par la basse Alejandro Baliñas Vieites avec un chant dynamique et qui passe bien l'acoustique, tandis que le jeu affirme son caractère retenu puis arrogant. La mezzo-soprano Marine Chagnon est une Flora Bervoix moqueuse et audacieuse, ornementant le brillant dans son timbre. Maciej Kwaśnikowski interprète efficacement Gastone, d'un ténor clair et compréhensible. Le baryton Florent Mbia caractérise le Marquis d’Obigny par un chant dynamique avec une technique fluide.
Les autres petits personnages sont confiés à Hyun-Jong Roh (Giuseppe au ténor léger), Olivier Ayault (Domestico au baryton homogène), Pierpaolo Palloni (Commissionario précis et intelligible en lecteur de courriels).
Sous la direction musicale de Giacomo Sagripanti, l'Orchestre offre un accompagnement dynamique et nuancé, les solos s'expriment sans s'imposer et les crescendi sont en pleine concordance avec les déclamations vocales pour maintenir la compréhension des parties respectives. Les effets rythmiques nourrissent la tension sans délaisser les motifs musicaux. Le Chœur, dirigé par Alessandro Di Stefano, se caractérise par sa cohérence dans les moments attendus de la partition, le contraste entre les voix féminines et les voix masculines permettant de déployer l'éventail de tessitures, dans un équilibre d'harmonie et une richesse de nuances.
La mise en scène de Simon Stone transpose l'histoire et plonge ainsi le spectateur dans la vie "festive" de nos jours, montrant aussi bien -grâce à son plateau tournant- les files d'attente d'une boîte de nuit que les poubelles qui jonchent les rues délaissées. Les décors pensés par Bob Cousins sont réalistes (jusqu'au vendeur de kebabs) et dialoguent avec les échanges de sms et autres e-mails projetés sur les écrans vidéos (Zakk Hein) entre comptes-courants et rendez-vous médicaux. Les costumes d'Alice Babidge mais aussi les lumières de James Farncombe correspondent à cet éclairage moderne.
Les applaudissements saluent les arias les plus fameuses, et la fin du spectacle, mais c'est le "retour" de La Traviata alias Lisette Oropesa aux saluts, qui déclenche l'ovation debout d'une salle dominicale emplie d'admiration et de ferveur.
Dear friends, Excited to be back in Paris tomorrow, jumping in for a single Sunday matinee performance of Violetta in La Traviata at the @operadeparis! Looking forward to sharing the stage with my dear friends Ludovic Tézier and Rene Barbera with Giacomo Sagripanti conducting! pic.twitter.com/xmCsmbAvJA
— Lisette Oropesa (@Lisette_Oropesa) 24 février 2024