Un "Guru" d'Opéra à La Cuisine de Nice
Une île isolée, un Guru à la tête d'une communauté vouée à son culte, corps et âme (et biens) : l'histoire dans cet opéra semble tristement déjà connue, et pour cause, elle est inspirée de faits réels (le suicide collectif de 914 adeptes de la secte du ""Temple du peuple"" en 1978).
Dans cet opéra (sur un livret de Xavier Maurel), le personnage de Marie rejoint la secte pour tenter de détruire ce guru et d'empêcher le suicide collectif. Elle n'y parviendra pas et restera même seule, parmi les cadavres dont celui du guru). La mise en scène de Muriel Mayette-Holtz assistée par Ornella Bastoni ne recule pas devant la violence terrible du propos, représentant même une scène de viol sur Marie. Le jeu est intense, la manipulation mentale est montrée par des interactions terriblement éloquentes, les présences sont terrifiantes, dans leur violence (d'autant plus lorsqu'elle se cache sous des apparences faussement béates et fraternelles).
Le nombre de personnages sur la taille mesurée du plateau renforce l'effet de horde d'adeptes confinés, et la production immerge d'autant plus le spectateur dans cette impression que six adeptes entrent par le public.
Un écran au-dessus de l’avant-scène prolonge le décor vers de terribles horizons (notamment ces paysages de plage de bord de mer, parfois avec des corbeaux). Les chanteurs sur le plateau, également captés en vidéo, jouent avec les différents espaces, de leurs regards, mais amoindrissant alors l'immersion pour le spectateur qui ne sait plus bien où regarder ni à qui les personnages s'adressent.
Les costumes et décors de Rudy Sabounghi assisté par Quentin Gargano Dumas placent l’action dans la même temporalité que la nôtre afin de souligner également l'intemporelle actualité du sujet abordé. Le mot d’ordre est le réalisme sur ce plateau dont le sol imite sable et mare d’eau, entourée de quelques plantes hautes (les accessoires s’inscrivent dans la même lignée avec des billets de banque ainsi qu’un pistolet).
Les lumières de François Thouret sont relativement sobres, alternant entre des couleurs chaudes (censées renforcer l’idée de chaleur sur l’île) et des couleurs froides pour le dénouement final, à l’image du froid mortuaire qui envahit le plateau lors du suicide collectif.
Le rôle du Guru est confié au baryton Armando Noguera. Malgré l'acoustique peu propice au déploiement lyrique, il propose un timbre coloré et déploie surtout une endurance impressionnante dans ce rôle (presqu'omniprésent), sans montrer une quelconque fatigue vocale (et sachant s'appuyer aussi sur le son du basson). Son jeu sait sombrer petit à petit dans la folie, avec un débridement progressif de ses gestes et de sa vocalité.
L'actrice et danseuse Sonia Petrovna incarne le seul rôle non chantant (celui de Marie), mais doit cependant se plier à une partition rythmique pour la déclamation de son texte. Elle s'en acquitte avec un naturel constant et indéniable, sachant moduler son propos, ses émotions, et son jeu.
Anaïs Constans incarne Iris (négligée par le Guru dont elle a eu un enfant qui mourra négligé lui aussi). La soprano impressionne dans le contraste de ses nuances et dans sa navigation à travers la tessiture (culminant avec le deuil maternel). Ce contraste est renforcé dans les oxymores entre sa voix aérienne et la dureté de ses mots comme de son destin, la poussant à la culpabilité jusqu'au suicide.
Les deux complices de Guru, Victor et Carelli, sont également ses victimes. Le ténor Frédéric Diquero présente un timbre clair avec émotion, tandis que la basse Nika Guliashvili déploie la noble richesse de sa tessiture profonde sans perdre en volume sonore.
Marie-Ange Todorovitch, dans le rôle de Marthe (mère du Guru) affirme la technicité de son mezzo, et de sa prestation scénique, non sans expressivité, douceur et souplesse de timbre.
Les six nouveaux adeptes (campés par Rachel Duckett, Noelia Ibañez, Aviva Manenti, Raphael Jardin, Eduard Ferenczi Gurban, Trystan Daguerre) témoignent d'un dévouement total à Guru qui transparaît dans les inflexions de leurs voix souhaitant à tout prix faire partie de cette communauté sectaire.
Le Chœur de l’Opéra de Nice est central aussi pour sa présence. Entièrement vêtus de noir, ils incarnent les endoctrinés dans un chant et un jeu bien uni, tout en sachant varier d'équilibres et de puissances de projection.
La musique de Laurent Petitgirard allie la clarté formelle avec des élans et illustrations très cinématographiques (ce qui n'est pas étonnant pour cet Académicien habitué de musique à l'image). Dirigeant en personne, le compositeur connaît sa propre musique sur le bout des doigts et les yeux fermés (ce qu'il illustre parfois littéralement). L’Orchestre Philharmonique de Nice placé à l'arrière-scène de ce plateau théâtral délivre une prestation passionnée, rythmée, intense dans les enrichissements de sonorité ou délitements d'accords, et jusqu'à certains passages répétitifs.
La salle accueille la représentation sous des applaudissements crescendo, le temps que la profonde réflexion et l'introspection dialogue intérieurement en chacun avec l'émotion...
Captation de la création mondiale en septembre 2018 au Castle Opéra de Szczecin en Pologne, dans la mise en scène de Damian Cruden