Mozart-Vienne-Paris un podium d’excellence au TCE
Avec le Don Giovanni de Mozart, le Théâtre des Champs-Elysées fête un siècle de tradition : celle de la venue de l’Orchestre de l'Opéra d'État de Vienne en ses murs. En 1924, la phalange autrichienne dirigée par Franz Schalk présentait un cycle Mozart. Cent ans plus tard, Don Giovanni est au menu des festivités et la direction est assurée par Philippe Jordan. Ces deux années sont reliées également par le fait qu’elles correspondent à l’accueil des Jeux Olympiques dans la capitale française. Le trio Mozart-Vienne-Paris, acclamé par le public, vient ainsi se hisser à nouveau sur la première place du podium.
Ce soir nous célébrons le 100e anniversaire de la première venue de lOpéra de Vienne @WrStaatsoper avenue Montaigne ! Au programme des festivités : Mozart, Don Giovanni direction Philippe Jordan.https://t.co/BtIY3vtG0O pic.twitter.com/L7Jgx71XYj
— Théâtre des Champs-Elysées (@TCEOPERA) 5 février 2024
Dès son entrée, le chef est accueilli par une salve d’applaudissements qui ne faiblira pas à l’issue du concert (le public exprime ainsi son bonheur de revoir l’ancien directeur musical de l’Opéra de Paris qui occupe actuellement le poste à l’Opéra de Vienne).
Le rythme insufflé par Philippe Jordan ne faiblit pas lui non plus et il entraine ses troupes dans des tempi soutenus, à l’instar de l’impatience de Don Giovanni à séduire toutes les femmes qu’il croise. L’urgence réside également dans les enchaînements resserrés conduisant inéluctablement jusqu’à la spirale infernale du dernier acte. Il est sur tous les fronts : assis au piano-forte pour les récitatifs qu’il accompagne lui-même, bondissant de son siège pour diriger l’orchestre tout en étant très attentif aux chanteurs qu’il ne quitte pas des yeux. L’Orchestre de l'Opéra d'État de Vienne, riche de son savoir-faire ancestral dans ce répertoire, répond aux intentions du chef dans une complicité palpable faisant ressortir toute la théâtralité de la musique de Mozart que l’absence de mise en scène n’amoindrit nullement. Le Chœur viennois, en petit effectif, participe au son d’ensemble de manière brillante, les pupitres d’hommes étant notamment remarqués par leur engagement vocal lors du finale.
La théâtralité de l’œuvre émane également des solistes grandement impliqués dans le jeu et délivrant le texte du livret de da Ponte en grande intelligence.
L’équilibre vocal du baryton-basse Christian van Horn dans le rôle titre l’accompagne dans toutes les situations et lui permet d’assumer la rapidité des tempi notamment dans « Finch’han dal vino », son articulation et sa projection ne pâtissant aucunement des bulles de champagne. Dans une puissance raisonnable et sans effort apparent, il incarne un Don Giovanni arrogant et quelque peu désinvolte.
La prestation de Peter Kellner en Leporello est réjouissante à plus d’un titre : sa voix de baryton-basse est assurée dans une projection infaillible et des résonances flatteuses, et il s’amuse à jouer ce personnage poltron et flagorneur dans une prestance tonique et cocasse.
La soprano Slávka Zámečníková éblouit l’auditoire dans le rôle de Donna Anna de sa voix rutilante aux aigus de cristal. Dans une émission précise, elle fait preuve d’une grande agilité lui permettant mille nuances et une conduite souple des phrases.
Elle seule semble résister à la déclaration d’amour de Don Ottavio qui, interprété par le ténor Bogdan Volkov, touche le public qui l’applaudit chaleureusement à la fin de son premier air (« Dalla sua pace »). Il nuance infiniment son chant, alternant la suavité de sa voix mixte et l’ardeur lorsqu’il retrouve sa pleine voix dans un phrasé de velours. Il peine cependant à se frayer une place vocale dans les ensembles.
Si l’investissement dramatique de la soprano Federica Lombardi porte haut l’exaltation du personnage d’Elvira, sa voix en souffre néanmoins quelque peu et ses aigus fusent tels des cris de femme outragée, affaiblissant de surcroit sa présence dans le médium.
Le Commandeur s’impose par la voix de la basse Antonio di Matteo aux résonances abyssales. Constamment dans l’intensité, son chant apparaît quelque peu monolithique, concédant cependant une place assurée au convive de pierre.
Alma Neuhaus incarne Zerlina de sa voix légère et colorée de mezzo-soprano en harmonie avec son jeu espiègle et vif. Son fiancé Masetto, interprété par le baryton Martin Häßler, bien qu’investi dans ce personnage de jaloux, peine cependant à passer l’orchestre pour faire entendre sa colère.
Au trio gagnant Mozart-Vienne-Paris, s’ajoute Jordan, qui, en forme olympique, insuffle une telle densité que le public peine à retrouver son souffle et ses esprits.
Une fois remis, il ovationne les artistes pour ce voyage qui l’a conduit des enfers au paradis.