Les Sortilèges de l’Enfant et de L’Heure Espagnole à Tours
Re-présentée sur la scène de l’Opéra Grand Avignon en novembre dernier (notre compte-rendu), cette production réalisée avec Liège et Monte-Carlo installe ses facétieuses horloges à l’Opéra de Tours en ce mois de février, le temps de deux représentations.
Jean-Louis Grinda s’est associé avec Rudy Sabounghi pour les décors et costumes, éclairés avec toute la vivacité requise par Laurent Castaingt. Le metteur en scène livre une lecture savoureuse et légère du premier ouvrage. Par contre, en situant l’action de L’Enfant et les Sortilèges dans une chambre démesurée et meublée de façon bourgeoise selon la volonté de la mère de l’enfant (cette dernière manifestement plus occupée par ses devoirs de maîtresse de maison et ses sorties mondaines que de l’éducation de l’enfant confié de fait à une gouvernante), Jean-Louis Grinda insiste sur la détresse induite et donc sur les manifestations de colère et de méchanceté qui en découlent. Tout y est nonobstant fluide, étayé, mettant pleinement en valeur cette fantaisie lyrique écrite par la grande Colette.
En dehors de l’orchestre et des chœurs, le plateau artistique demeure identique à celui d’Avignon, Robert Tuohy se voyant heureusement de nouveau confier la direction musicale.
Anne-Catherine Gillet incarne Concepcion avec caractère et une intensité sensuelle, d’une voix large et assurée, très lyrique de timbre avant d’aborder avec bonheur les rôles de la Bergère et de la Chouette pour le second opus. Carlos Natale campe un Gonzalve lunaire et savoureux, mais sa voix de ténor léger manque de précision et de liberté pour ce rôle-çi. Kaëlig Boché met sa voix de ténor limpide et ses aigus forts séduisants au service de Torquemada, puis du savoureux Petit Vieillard et ses leçons de mathématiques, de la Théière avant d’incarner une Rainette plus vraie et sautillante que nature !
Ivan Thirion apporte toute sa solidité et ses moyens de baryton épanouis à Ramiro avant d’aborder le Chat et l’Horloge Comtoise. Jean-Vincent Blot, outre un Don Inigo Gomez plastronnant et plus que solide, campe de toute la largeur de sa voix de basse très timbrée et sonore le Fauteuil et un Arbre douloureux fort touchant dans ses gémissements.
Amélie Robins se joue avec ardeur des difficultés et des aigus radieux du Feu, de la Princesse et du Rossignol, tandis qu’Albane Carrère dispose d’une voix chaleureuse et malléable dans ses incarnations de la Tasse Chinoise, du Pâtre et de la gracieuse Libellule. Les autres interprètes féminines rivalisent de qualités comme Héloïse Poulet (la Pastourelle et la Chauve-souris), Ramya Roy (La Chatte, l’Ecureuil), Aline Martin (la Mère), toutes très investies dans leur rôle respectif.
Brenda Poupard s’empare du rôle de l’Enfant batailleur mais touchant somme toute, sans ménager sa peine et ses déplacements. Sa voix ronde et fervente de mezzo-soprano sied totalement au rôle qu’elle semble comme enrichir, notamment dans le seul véritable air de l’ouvrage “Toi, le cœur de la rose”, une perle musicale enchanteresse de Maurice Ravel.
L’Orchestre Symphonique Région Centre-Val de Loire/Tours trouve à pleinement s’exprimer sous la baguette à la fois délicate et précise de Robert Tuohy. Le chef souligne la musique de Maurice Ravel dans toutes ses composantes sans trop en accentuer les extrêmes, mais en lui conférant toutes ses subtilités, ses transparences, ses ruptures de rythmes. Le Chœur de l’Opéra de Tours (préparé par David Jackson), très précis dans ses interventions, la Maîtrise et les élèves de danse du Conservatoire à Rayonnement Régional de Tours -la chorégraphie étant signée par Eugénie Andrin- se glissent dans la production de L’Enfant et les Sortilèges avec un plaisir évident.
Ce spectacle est salué sans restriction et avec bonheur par le public présent dans la salle de l’Opéra de Tours, à l’heure où le bâtiment d’ensemble vient d’être classé en totalité Monument Historique, dans la perspective d’une réhabilitation complète qui devrait intervenir ces toutes prochaines années (pour mieux continuer de déployer ses sortilèges).