À Metz, création de l’opéra "Voix d’Hébron" du compositeur Cristian Carrara
Après la création en 2022 de l’opéra Enigma du compositeur français Patrick Burgan, c’est à un compositeur italien, Cristian Carrara, que s’est adressé Paul-Émile Fourny pour la mise en place du nouveau projet lyrique métropolitain. Coproduit avec le Teatro Comunale Pavarotti-Freni, l’ouvrage créé à Metz sera donné à Modène, en italien, dans la foulée des représentations messines (en français). Écrit sur un livret de Sandro Cappelletto, il raconte l’impossible rencontre entre Ruth, étudiante israélienne en agriculture engagée dans le service militaire, et Mohammed, jeune étudiant palestinien en archéologie. Il ne s’agit pas, comme le spectateur pourrait le croire de prime abord, d’une nouvelle transposition de l’histoire de Roméo et Juliette, qui serait située en terre sainte sur fond de conflit israélo-palestinien. L’opéra, qui se veut le porteur d’un message d’amour, de paix et de tolérance, aurait pu tout aussi bien se situer en Irlande du Nord, à la frontière entre les États-Unis et le Mexique ou sur tout lieu de tension politique ou religieuse où les peuples sont amenés à s’affronter dans une impossible cohabitation. C’est donc plutôt une réflexion humaniste qui est proposée ici, une interrogation qui évoquerait les difficultés d’échanges entre les personnes de cultures, mais aussi d’âges, différents. Car si l’opéra de Sandro Cappelletto et Cristian Carrara raconte bel et bien une histoire d’amour, il s’agit en fait de celle qui relie au-delà de la mort un personnage anonyme, dit Le Vieil Homme (L’Étranger), et son épouse Hannah, dont ce dernier souhaite déposer la dépouille mortelle au sein de la ville d’Hébron. Lieu symbolique considéré comme une ville sainte à la fois par les Juifs, les Chrétiens et les Musulmans, en raison notamment de la présence dans la ville du Tombeau des Patriarches, Hébron représente pour le Vieil Homme l’espoir d’une future réconciliation. Métaphore du patriarche Abraham, enterré dans ce lieu emblématique, le Vieil Homme a besoin, pour réaliser son projet, de l’aide conjointe de Ruth et de Mohammed, à qui il finit par léguer sa maison et ses terres. Ruth pourra y cultiver sa vigne, et Mohammed y poursuivre ses fouilles archéologiques.
L’opéra s’achevant sur une violente tempête au cours de laquelle l’action se fige, nul ne saura sur quoi débouchera cette nouvelle cohabitation. C’est tout ce processus de rencontres et d’affrontements que dépeint l’opéra grâce à une action parfaitement resserrée et rythmée, composée à la fois de scènes tendues et de moments de recueillement, et qui se déploie sur près d’une heure et demie. Sur le livret de Sandro Cappelletto le compositeur Cristian Carrara a écrit une musique poétique et toujours accessible, d’une apparente simplicité dans son caractère éminemment tonal, mais d’une grande richesse mélodique, rythmique et harmonique. Partiellement inspirée des musiques du Proche-Orient, elle parvient à créer des climats envoutants qui contribuent fortement à la profondeur et à la densité du message porté par le livret. L'auditeur gardera longtemps en mémoire la remarquable scène au cours de laquelle Ruth et Mohammed, installés dans leurs chambres respectives, s’expriment chacun dans l’idiome musical propre à leur peuple, chantant en même temps mais pas ensemble, séparés par leur héritage culturel mais unis dans l’humanité qui est la leur, une prière en hommage à la mémoire d’Hannah.
Pour ce projet, Paul-Émile Fourny et le scénographe Benito Leonori ont conçu un décor sobre et simple, repris d’une précédente production messine (Giovanna d’Arco) dans un objectif fort louable de développement durable et de transition écologique. Plutôt que de chercher à représenter de manière réaliste les checkpoints de la ville d’Hébron, le décor évoque le lit asséché d’une rivière où l’eau et la vie pourraient ressurgir à tout moment.
Divers rideaux viennent structurer l’espace scénique, créant ainsi les différents lieux où se situe l’opéra : la colline au-dessus d’Hébron, la maison du Vieil Homme, le check point, le Tombeau des Patriarches simplement évoqué par une projection de la figure d’Hannah, le numérique étant également sollicité pour la création d’images fortes et parlantes. Vêtus de costumes modernes (signés Giovanna Fiorentini) à l’exception du Vieil Homme, les quatre acteurs de cet angoissant huis-clos investissent l’espace scénique avec efficacité et crédibilité.
Les chanteuses engagées pour les personnages féminins montrent quelques difficultés avec la langue française mais affichent une voix saine et claire, Shakèd Bar en Ruth montrant quelques duretés parfaitement en phase avec son personnage. De nature plus voluptueuse, la voix de Maria Bagalà en Hannah exprime toute la tendresse attendue d’une femme aimée au-delà de la mort.
Très investi physiquement dans son personnage de Mohammed, David Tricou possède un ravissant timbre de haute-contre à la française, ce qui lui donne une fragilité tout à fait bienvenue dans un tel contexte. Le plateau est dominé par le charismatique Vieil Homme de Jean-Luc Ballestra, imposant scéniquement et musicalement dans une partie d’une rare amplitude vocale qui fait appel aux deux extrêmes de la voix.
En formation réduite, l’Orchestre national de Metz Grand Est, placé sous la baguette du chef Arthur Fagen, sait faire ressortir les sonorités claires et mystérieuses d’une partition riche et délicate, qu'il serait souhaitable de réentendre dans un avenir proche. Le public, hélas peu nombreux, réserve le meilleur accueil à un spectacle riche et inspirant.