Carmina Burana en puissance au Théâtre des Champs-Elysées
Un texte inspiré d’un manuscrit médiéval, une attention toute particulière à la mélodie, un rôle héroïque confié au chœur et un développement musical le plus efficace possible, voilà les ingrédients du succès pérenne d’une œuvre qui se veut toucher le plus grand nombre.
Carmina Burana durant une heure, l’Orchestre National de France fait entendre en première partie de soirée (sans présenter de liens programmatiques évidents) la Suite n°2 adaptée du ballet Bacchus et Ariane d’Albert Roussel, compositeur français trop peu connu. Les couleurs tendres, la texture moelleuse et très claire de l’orchestration, avec des passages particulièrement figuratifs, drôles et mêmes sautillants mènent via donc un univers fort différent ou complémentaire, vers une tourbillonnante danse finale pour le « Couronnement d’Ariane » ravissant le public. Les musiciens font déjà preuve d’une effervescence contrôlée, sous la direction dansante et élégante de Kazuki Yamada. Sa gestuelle active et souple parvient à impulser et à calmer dans le même temps les légères tentations de précipitation.
Il se montre également particulièrement attentif au chœur pour Carl Orff, les accompagnant notamment dans le soutien de leurs tenues. Les artistes du Chœur de Radio France connaissent bien cette partition, dont la difficulté ne vient pas des charmantes mélodies, ni de la polyphonie peu développée, souvent réduite même à l’unisson. L’attention est donc portée sur le texte qui, grâce à la préparation de Martina Batič, se fait très précis et très solidaire, surtout dans les attaques nettes mais point trop tranchantes. Les lignes se font alors délicates, voire parfois candides, comme elles savent se montrer puissantes dans les passages les plus effrayants, surtout le fameux « O Fortuna ». La Maîtrise de Radio France se joint aux ensembles pour faire montre des mêmes qualités de présence et de diction, d’une grande netteté de son, grâce à la préparation de Marie-Noëlle Maerten.
Jeudi 25 et vendredi 26 janvier - Carmina Burana de Carl Orff avec le @nationaldefce, le Choeur et la @MaitriseRF ce soir au @TCEOPERA. En direct à 20h ce soir sur @francemusique ! pic.twitter.com/unqHJeUmrm
— Choeur RF (@ChoeurRF) 25 janvier 2024
Si le chœur très présent est mis en avant par cette œuvre, le soliste baryton tire plus que pleinement son épingle du jeu, et pour cause, il est interprété ce soir par Ludovic Tézier (entre deux interprétations de La Traviata à l'Opéra de Paris). Déployant immédiatement la profondeur et la chaleur caressante de son timbre, la noblesse de sa ligne s’impose naturellement, en une ligne vocale fluide comme un ruban, soutenu par un souffle long et particulièrement nourri. Il va même jusqu'à interpréter les parties de baryton et de ténor dans le « Dies, nox et omnia », illustrant ainsi à lui seul le sens de ces paroles ("Jour, nuit et tout") en sachant s'élever vers une voix de tête présente et délicate.
Son collègue soliste masculin est ce soir contre-ténor : Matthias Rexroth, qui raconte son texte, par cœur, avec un jeu presque tragicomique (sa voix se faisant peu timbrée, nasale et sonore avec des [t] et [r] presque exagérés). La partie de soprano est confiée à Regula Mühlemann qui charme par la fraîcheur de sa voix fine particulièrement dans les aigus. Malgré un léger manque de souplesse et de liberté, elle traduit le sens des paroles : "Dans l’hésitante balance de mes sens fluctuants qui s’opposent, amour lascif et pudicité".
Les bravi fusent et les applaudissements sont nourris lors des saluts. Nombreux sont ensuite les spectateurs qui, une fois sortis du théâtre, sifflotent ou chantonnent (avec certes moins de précision) les mélodies marquantes de cette œuvre particulièrement efficace.