Baum au cœur de Fauré au Festival autres mesures à l’Opéra de Rennes
Fauré composa ses mélodies (piano-voix) pour sublimer quelques-uns des plus beaux poèmes d’auteurs de son époque. Elles se distinguent par leur délicatesse, leur diversité de nuances, leur sens de la prosodie, leur large spectre d’atmosphères et de langages musicaux.
Les arrangements d’Olivier Mellano, écrits pour un trio constitué d’un piano, d’un violon et d’un violoncelle sont soignés, respectueux de l’écriture harmonique de Fauré. Le compositeur d’aujourd’hui a su préserver l’expressivité propre à chaque mélodie choisie, faite de mélancolie, de désir résonnant conjointement. La pertinence du choix de mélodies se résume par les titres : Crépuscule - Tristesse - Spleen - Automne - En sourdine - Le Secret - Clair de Lune - Après un rêve - Nocturne - Adieu - Ô mort, poussière d'étoiles, pour finir, dans un collectif, par Seule. Les œuvres instrumentales composées par Olivier Mellano, aux titres évocateurs, complètent ce paysage sonore : Aux pluies - Aux âmes - Un rêve - Aux astres. Le tout forme un flot ininterrompu, un déroulé bien pensé de poèmes ou lectures, entrecoupées par des interventions instrumentales mêlant sons acoustiques et nappes de guitare électrique où l’âme se met à rêver dans ce paysage choisi.
Pour ce spectacle intitulé « Ici-bas – Les mélodies de Fauré » (Ici-bas étant une mélodie de Fauré sur un poème de René-François Sully-Prudhomme), créé il y a quelques années en clôture du festival d’Avignon, les chanteurs ont été choisis pour interpréter les mélodies selon le point de vue du compositeur d'aujourd'hui. Selon Olivier Mellano, le chanteur lyrique est trop « passionné » dans ses interprétations, obligé de déployer une voix puissante pour se faire entendre. Il vise donc aujourd’hui, par le relai de la technique (bien visible sur la scène de l’Opéra de Rennes) une interprétation qui se veut plus libérée, pour -toujours selon Mellano- mieux comprendre les textes.
Il a ainsi fait appel à des chanteurs issus de la scène pop indépendante actuelle plutôt qu’à des artistes lyriques. Six chanteurs se succèdent sur scène pour interpréter les poèmes de Verlaine, Sully-Prudhomme, Théophile Gautier, Romain Bussine... L’ensemble se déroule tranquillement avec une volonté d’enlever tout le pathos, toute la virtuosité afin de retrouver la douceur qui émane des mélodies choisies. Une interprétation qui se veut plus moderne, sous la forme de chansons au sens d’aujourd’hui, avec des voix actuelles accompagnées par un trio chambriste et une guitare électrique.
Le public se montre séduit ou non par ce détournement des œuvres de Fauré. Tout musicien un jour est bien tenté de se frotter à d’autres types de répertoires, d’autres genres musicaux. Le pari n’en demeure pas moins risqué, tant l’usage des instruments, et de la voix entre tous, n’est pas du tout le même d'un style à l'autre. Même si Gabriel Fauré disait aimer entendre sa musique chantée par des amateurs (car libérée de la virtuosité vocale et du lyrisme), l’exercice n’en est pas moins périlleux. Chaque chanteur tire comme il peut son épingle du jeu en proposant des interprétations plus ou moins épanouies, s’appropriant à sa façon la mélodie qui lui est confiée.
De sa voix épurée hautement perchée, la franco-canadienne Kyrie Kristmanson chante la mélodie Paradis qui surprend, vidée des affects surlignant d’ordinaire la poésie fauréenne. Elle se montre évanescente dans l’Introït du Requiem (un petit écart dans ce programme dédié à la mélodie) interprété avec sensibilité.
La fragilité de la voix fluctuante d’Himiko Paganotti décrit bien le frémissement de l’eau (Au bord de l’eau) ou les prémices de l’amour. Si la voix tremblote dans les aigus et manque de soutien, elle installe des graves poitrinés bien plus assurés mettant en relief ses interventions dans les duos. L’anglais Hugh Coltman semble en difficulté dès son interprétation de Crépuscule : la voix éraillée vacille dans les aigus, la diction au trop fort accent anglais entrave la compréhension du texte (donc de la musique également).
Élise Caron offre une interprétation expressive de Clair de lune grâce à une diction précise, un respect de la scansion du vers et une voix homogène dans les différentes tessitures. Rosemary Standley a certainement la technique la plus proche d’une chanteuse lyrique. Elle a d’ailleurs fait une incursion dans le monde du baroque anglais et plus récemment a enregistré un disque autour des Lieder de Schubert. Sa voix claire, droite au timbre mélancolique convient bien pour l’interprétation d’Après un rêve. Précise dans les petites fioritures de cette mélodie, le phrasé est bien pensé et l’articulation rend le texte parfaitement compréhensible.
John Greaves (qui a lui-même mis en musique des poèmes de Verlaine) propose une interprétation vraiment personnelle des fameux Berceaux pour la transformer en une sorte de chanson de marin, à la justesse certes approximative mais émouvante. Il prête aussi sa voix timbrée à la lecture d’extraits de la correspondance de Fauré.
L’Ensemble BAUM montre qu’il peut jouer Fauré à sa manière sans le dénaturer tout en sachant s’en affranchir. Olivier Mellano ajoute quelques solos de guitare électrique tour à tour énigmatique ou aux effets plus cosmiques utilisant l’amplification et la réverbération à bon escient.
Ce concert, fort différent évidemment d’un récital lyrique, offre aux mélodies de Fauré une proximité -temporelle- accrue, appréciée par une partie du public présent, remerciant par des acclamations l’ensemble des musiciens alors que d’autres spectateurs applaudissent plus timidement, dubitatifs.