Roberto Alagna chante Puccini à Gstaad recouvert de neige
Ovationné l’an dernier à pareille époque (notre compte-rendu), Roberto Alagna revient en ce Festival, tout juste rentré de New York.
Locus Iste – Ce (haut) lieu
La neige fraîchement tombée transfigure les forêts et montagnes avoisinantes. Sous la voûte en berceau brisé à cinq pans, vaisseau de bois surplombant la nef, le public bourdonne. Quelques mots de Caroline Murat, fondatrice et directrice artistique du Gstaad New Year Music Festival, introduisent les protagonistes et le programme puccinien. Coiffé de l’arc triomphal qui délimite l’intimité du chœur, Roberto Alagna se dresse dans la courbe du Steinway tenu par la pianiste Morgane Fauchois. Smoking, veste courte cintrée, couleur bronze doré et pantalon anthracite, il conserve une silhouette de jeune homme.
Avec Morgane Fauchois, c’est une amie parisienne qu’il retrouve – leur amitié date d’une rencontre à la sortie d’école de leurs enfants et de la découverte de leur domicile dans la même rue, à quelques centaines de mètres l’un de l’autre. Le programme du jour a donc été rodé à Paris avant le raccord de l’après-midi.
Sans prétendre faire le tour des opéras composés par Giacomo Puccini, le programme parcourt huit d’entre eux. Depuis Le Villi et Edgar et avec plusieurs airs de Manon Lescaut, la première partie fait la démonstration des capacités techniques et vocales du chanteur. Les premiers airs font encore partie de l’échauffement vocal, avant que le ténor ne développe l’entier de sa voix et ses aigus éclatants, avec une présence scénique habitée de ses rôles. Alagna met définitivement le public sous son charme avec la seconde partie dédiée aux airs de ténor les plus fameux (Bohème, Tosca, Butterfly, Turandot). Durant le récital, quatre interventions pour piano seul permettent à Morgane Fauchois de mettre en évidence la richesse de son monde intérieur et la subtilité de son jeu.
Après 35 ans de carrière, Roberto Alagna impressionne toujours l’auditoire par sa longévité au plus haut niveau. À 60 ans assumés, sa voix conserve cette puissance de ténor claironnant, vaillant et glorieux. Yeux clos, calme et concentré, mains croisées sur un mouchoir, il chante ici l’amour avec une conviction touchante, la mélancolie ou la tristesse, l’ironie, la naissance de l’émoi et le désespoir (du des Grieux dans Manon Lescaut). La parfaite articulation rend intelligible chaque mot, l’aisance dans la conduite du souffle donne une impression de facilité.
Quelques mots oubliés en route valent au public une remarque amusée d’Alagna et la reprise de l’air d’Edgar. Quelques pas sur scène avant d’attaquer à nouveau. L’ambiance détendue de la soirée est donnée. Le chanteur montre le plaisir qu’il ressent dans cette atmosphère chaleureuse. Loin des vastes salles d’opéra, la proximité du public donne à ce récital des allures de fête entre amis.
Les grands airs
Abordant les airs fameux du répertoire puccinien, Roberto Alagna exprime avec emphase ici, finesse là, la dramaturgie des rôles qu’il incarne. Les grands airs s'enchaînent à d’autres. Il y exprime toute sa technique vocale, passe de la voix de poitrine à la voix de tête sans que ne se perçoive la transition. Ses finales flutées d’une extrême douceur, s’achevant a niente, emportent l’enthousiasme d’un public devenu ardent.
Un piano inspiré et des réminiscences cinématographiques
Les murs entièrement peints aux teintes fanées, le plafond de bois clair forment un écrin de douceur et d’intimité. Au clavier, dans les intervalles que lui accorde la partition, Morgane Fauchois exprime sa grande sensibilité, la légèreté de son toucher comme sa conviction. Respirant avec le chanteur, elle joue en osmose avec lui.
Dans la transcription de la scène de Musette tirée de La Bohème, la légèreté du doigté, l’articulation du phrasé, les suspensions rythmiques font vivre la musique. Pas d’excès de maniérisme ni de gesticulation : de la retenue dans l’expressivité. L’air bien connu appelle les réminiscences aux films de Charlot. Le final de l’Intermezzo tiré de Manon Lescaut, renvoie au beau film « Les Chariots de feu ». Exemples de l’apport essentiel de la musique classique au cinéma.
La générosité de Roberto Alagna est bien connue, pour prolonger le plaisir de son public. En matière de bis, il annonce vouloir essayer de passer en revue tous les opéras de Puccini, ce à quoi il s’emploie avec quatre airs applaudis à tout rompre.
Le chanteur aurait même semblé en mesure et dans la dynamique d'offrir un cinquième bis, et d’autres airs, mais le public des premiers rangs se lève et s'apprête à quitter les lieux, mettant fin à la soirée.