Lisette Oropesa et Ludovic Tézier à Gstaad, comme un Noël après l'heure
Dans un festival où les artistes de très haut rang se succèdent (dont Jonathan Tetelman, lire notre compte-rendu), viennent donc en une nouvelle douce soirée se présenter, dans l’église clunisienne de Rougemont, Lisette Oropesa, robe rouge et sourire franc, et Ludovic Tézier, costume sombre et regard perçant. Vedettes, et habitués à courir le monde, ces deux « L » sont bel et bien là, pour faire s’envoler un public déjà conquis vers de hauts sommets émotionnels. Le tout avec un programme d’une puissante intensité lyrique, convoquant Donizetti (Lucia di Lammermoor et le grand duo de l’acte II), Ravel (Chanson romanesque pour lui, Vocalise-étude en forme de Habanera pour elle), Delibes, Meyerbeer (« Robert toi que j’aime », de Robert le Diable), Offenbach et bien sûr Verdi (Rigoletto et Traviata). Autant de compositeurs dont, depuis tant d’années, les intérêts sont si passionnément servis par ces deux interprètes qui dépassent ici allègrement le cadre d’un récital (ou qui contribuent à lui rendre ses lettres de noblesse) : il s’agit de chanter, bien sûr, mais aussi, et surtout, d’incarner. Incarner Lucia, Violetta, Gilda, et puis Enrico, Giorgio, Rigoletto.
Le concert est aussi l'occasion de retrouver le duo dans la peau d’Hamlet et d'Ophélie (qu’ils incarnaient ensemble l’an passé à Bastille), avec un délicieux « Doute de la lumière », plaçant plus que jamais cette belle soirée sous les meilleurs auspices lyriques.
Et d’abord, donc, c’est à deux que s’illustrent les invités du soir, qui d’emblée imposent leur charisme et leur magnétisme à portée de souffle de l’auditoire. Elle, avec sa voix d’une grande pureté, à la ligne infaillible et aux aigus célestes, qui restitue toute l’intensité de Violetta les bras en croix, les yeux regardant haut et loin, avec une voix solaire et expressive lustrée par les teintes du déchirement, tel dans le « Dite alla giovine » tout en touchante éploration.
Lui, avec cette autorité sonore à faire vibrer les murs (et les cœurs), cette rondeur de timbre, ces graves immenses et cette projection toujours aussi saillante. En Giorgio, en Rigoletto, c’est un baryton aux traits de patriarche qui se déploie dans l’autorité comme la douceur, avec une tessiture aussi ample et charpentée que les chalets environnants. Deux voix qui se répondent et qui s’unissent pour culminer en des hauteurs impressionnantes de musicalité et d’intensité dramatique.
Les solos respectifs constituent des instants non moins appréciés et captivent tout aussi visiblement l’assistance. La soprano tisse son soyeux vibrato et une radieuse richesse de timbre. Le baryton déploie une émission plus large et ardente encore, le volume sonore n’empêchant pas, ici et là, l’emploi de distinguées demi-teintes venues parer sa ligne de chant.
Ces duos et solos bénéficient aussi pleinement de la contribution du pianiste Alessandro Praticò, impeccable accompagnateur au jeu de mains aussi grâcieux que bondissant au besoin, et d’un sens du juste rythme et de la nuance idoine en symbiose avec les deux voix du soir.
C’est bien ainsi un trio uni de bout en bout, qui se fend en bis d’un ravissant extrait des Noces de Figaro (« Crudel! Perché Finora »), que le public vient saluer fort chaleureusement, manifestant sa chance d’avoir pu assister à une soirée qui, sans nul doute, fera date dans l’histoire du festival.