L’Enlèvement au Sérail à Clermont-Ferrand, la liberté accourt au jardin
Six ans après une précédente production transposant l’œuvre dans un cabaret des années 1930 (notre compte-rendu de l’époque), L’Enlèvement au Sérail fait son retour sur la scène de l’Opéra de Clermont-Ferrand, à nouveau dans une vision voulue comme moderne quoiqu’un peu plus tardive cette fois-ci. Car ici, c’est dans un Orient des années 1950 que le metteur en scène Laurent Serrano entend placer l’action, et ce ce sans user de turqueries ou d’artifices matériels qui fussent par trop marqués. Si teintes orientales il y a, celles-ci sont essentiellement à chercher du côté des costumes aussi divers que colorés d’Anne Bothuon : pantalons bouffants, sarouels, babouches sont notamment de sortie, côtoyant des vêtements bien plus neutres en matière de temporalité, telles ces robes et chemisettes portées par ces dames qui, dans ce cadre orientalisant, semblent aussi vouloir s’affranchir de toute contrainte vestimentaire.
S’affranchir de toute emprise. Là est bien le fil rouge de cette œuvre que Laurent Serrano a choisi de placer dans le jardin du palais du Pacha, par l’emploi d’un décor unique mis en place par Amélie Kiritzé-Topor, renforcé par les lumières aux teintes champêtres de Didier Brun. Un jardin d’aujourd’hui, qui pourrait être ottoman autant qu’occidental s’il n’y avait en fond de scène, pour tout de même mieux contextualiser l’ensemble, une tête coiffée d‘un chapeau ottoman. Sinon, de ce jardin où se cultive l’esprit de révolte et de liberté, seule une grande arche dessine l’entrée, quand trois grandes serres renferment des plantes vertes à en faire pâlir les magasins spécialisés, d’où sont tirées des cordes permettant de faire sécher le linge. Un environnement en somme très neutre, cherchant moins à intellectualiser qu’à actualiser le propos, le tout en se rapprochant bien davantage du vaudeville que du conte exotique. La dimension théâtrale est d’ailleurs renforcée par l’adaptation du livret ici opérée par le metteur en scène, avec la traduction en français des dialogues parlés : une pratique à la mode (et en lien avec les origines de ces ouvrages qui devaient être compris du public), contribuant en outre à détourner les yeux des écrans de traduction et à donner un rythme certain à l’ouvrage (en plus de mettre en valeur les talents de comédiens de solistes pleinement investis dans leur théâtrale et comique mission). Et il y a de quoi faire, car ici, les duels se règlent à coups de fleurs et de bêches, et quand Osmin veut se faire menaçant face aux fuyards, c’est en tirant un coup de feu en l’air ! De quoi faire sursauter le public entre deux tranches de rire.
Osmin, justement, se trouve ici campé par Mathieu Gourlet, tout à son aise dans l’incarnation d’un personnage moins despote qu’un peu bouffon, avec une noble voix de basse solidement charpentée, produisant un volume sonore qui en impose. Ses manières un peu adolescentes de se laisser embrumer par l’alcool (« Vivat Bacchus ! ») font également leur effet irrésistible. Le remuant Pedrillo de Yan Bua évolue dans un autre registre vocal, bien plus léger et moins sonore, avec un instrument de ténor à l’émission saillante et au médium nourri, et des aigus vaillants même si, dans les cimes de la tessiture, la ligne se fait parfois plus instable. Matthieu Justine est lui un Belmonte oscillant entre élans de passion et de révolte, sachant se faire comique (notamment en forçant grossièrement des accents italiens) autant que lyrique par l’emploi d’un ténor assuré et clair de timbre. La ligne est toujours portée par le souci de la distinction et d’une musicalité toute mozartienne cherchant moins à pousser les décibels qu’à se faire avant tout expressive. Guillaume Laloux mobilise lui ses talents de comédien certains pour poser un volcanique pacha Sélim, mobilisant moins la gestuelle (un peu figée) qu’une voix imposante pour mieux se faire obéir.
Serenad Burcu Uyar porte une Constance à l’engagement scénique indéniable, multipliant les mouvements de hanche (peut-être à l’excès) pour mieux illustrer les tourments intérieurs la rongeant face à un Selim longtemps impitoyable. Vocalement, la performance est de belle tenue, sonore et vibrée, avec une ligne riche de couleurs qui disent autant la colère que la tendresse. Blonde trouve en Caroline Jestaedt une interprète pleine d’enjouement dans la gestuelle et de fraîcheur dans une voix lustrée d’un guilleret vibrato. Une Blonde comme un soleil qui finit par aveugler Osmin dans un final pour le moins surprenant.
Car, dans cette production dépourvue de chœurs et donc de janissaires, l’ultime scène projette l’intrigue « trente mois plus tard », soit... au début des Noces de Figaro, avec un couple de jeunes amants formé de Blonde et Osmin. Un audacieux parti-pris, qui ne manque pas de faire sourire, et qui permet à l’Orchestre de l’Opéra de Reims de boucler la boucle en passant d’une Ouverture à une autre. Sous la baguette énergique d’Adrien Ramon, et bien que réduite à une trentaine de musiciens, la phalange rémoise parvient sans cesse à trouver les justes teintes sonores, qu’elles soient enflammées, tempétueuses ou bien plus légères. Le tout avec des tempi dictant toujours le rythme d’une course allègre, sans être follement effrénée, vers le joyeux épilogue.
Ravi d’avoir tant souri et savouré de jolis moments musicaux (dont le fameux quatuor de l’acte II n’est pas le moins appréciable), le public applaudit chaleureusement cette production clermontoise désormais vouée à voyager de Reims à Saint-Quentin en passant par Poissy, Abbeville, Neuilly-sur-Seine, Montrouge, ou encore Versailles.