Matheus angelicus
L’étape malouine à l’église Notre-Dame-des-Grèves marque la fin de cette tournée entreprise dans les églises bretonnes, des lieux qui font résonner la musique et le chant, mais aussi choisis pour être (au) plus proche du public, loin des grandes salles où l’ensemble a l’habitude de se produire.
En guise d’introduction, un concerto (qualifié de "vintage" par le chef) pour deux violons et violoncelle de Vivaldi permet aux musiciens de s’échauffer dans cette église glacée et de s’adapter à l’acoustique quelque peu perturbante : les aigus sont clairs et sonores, les graves sourds et confondus. Expérimentés, les musiciens trouvent rapidement l’équilibre en évitant de déployer trop d’énergie, de fougue et en adoptant des tempi en adéquation avec la réverbération.
Plusieurs œuvres choisies pour ce concert ont en commun des chants élégiaques, introvertis, suspendus à l’image de ceux qui résonnaient sous les voûtes des églises vénitiennes. Le Salve Regina de Vivaldi invite à la méditation. Son “Gloria patri” extrait du Laudate Pueri entremêle les timbres du violon et de la voix, qui vibrent à l’unisson et se complètent, tout en douceur et tendresse. Cette fraîcheur de timbre se retrouve dans d’autres extraits du Magnificat ou du Dixit dominus (toujours de Vivaldi) dévoilant également des vocalises aisées et perlées. Pour compléter ce cycle marial, Nina Maestracci interprète deux airs du Stabat mater de Pergolèse, empreint d’une mélancolie rêveuse. Pour compléter ce programme, Jean-Christophe Spinosi insère quelques pièces instrumentales en lien avec la thématique. En fin pédagogue, il capte l’auditoire en justifiant ses choix, non sans une pointe d’humour (notamment lorsqu’il propose de se réchauffer un peu, en interprétant… L’Hiver des Quatre Saisons de Vivaldi).
Nina Maestracci, souffrante, a effectivement en cette occasion un léger voile dans le medium et une fragilité dans le soutien. Cependant, sa lumière vocale s’épanouit lorsqu’elle est soutenue par le violon. Sa messa di voce (conduite de voix) se déploie sur le mot “Salve” (du second Salve Regina, celui de Haendel). Les notes sont effleurées tout en maintenant la justesse, s’ajoutant aux dissonances du théorbe pour exprimer à la fois la douleur et la miséricorde. L’interprétation d’une grande économie de moyens est étonnante, d’une touchante innocence, comme si la chanteuse se réincarnait en orpheline de l’Ospedale della Pieta (là où enseignait Vivaldi), sous le regard protecteur de Jean-Christophe Spinosi à la tête de son ensemble exclusivement féminin.
Le soin apporté aux nuances piano de la part des instrumentistes met en valeur le phrasé délicat de la chanteuse alors que l’absence de forte gomme tout effet de contrastes saisissants entraînant ainsi une sensation de planer (comme des anges) dans ces œuvres d’une profonde sensibilité et appelant au recueillement. L’ensemble instrumental sait se faire mystérieux, entre ombre et lumière, avec des notes suspendues, étirées de longs silences douloureux avant de se teinter de couleurs harmonieuses et rassurantes sur une rythmique de nouveau mesurée.
Le public aux anges applaudit chaleureusement les huit musiciens. En bis, Nina Maestracci interprète le “Cum Dederit” (extrait du Nisi Dominus de Vivaldi) une berceuse appropriée à cette période de Noël, évoquant « les derniers pas des bergers et la magie de la crèche ». Dixit Spinosi !
Le “Grand concert Mozart” capté dans la Chapelle de la Trinité à Lyon réunissant sa Grande Messe et sa Symphonie Jupiter, avec Jean-Christophe Spinosi et l’Ensemble Matheus, Nina Maestracci et Chiara Skerath, Krystian Adam, Luigi de Donato et le Chœur Vox 21 est disponible en vidéo intégrale ci-dessous (et sera retransmis sur Arte le 24 décembre à 18h50).