Don Pasquale à Nancy, pétillant et rafraîchissant comme du champagne
Après également Le Barbier de Séville de l’année dernière, l’Opéra national de Lorraine s'est visiblement donné comme feuille de route de proposer pour son spectacle de fêtes de fin d’année un classique du répertoire de l’opéra-bouffe italien. Personne ne s’en plaindra et cela d’autant moins quand, à la qualité et à l’originalité de la mise en scène, s’ajoute une distribution constituée de jeunes chanteurs talentueux et prometteurs réunis autour d’un fiable vétéran.
Le potentiel comique de Don Pasquale n’est plus à démontrer. Son intrigue construite autour d’un vieux barbon ronchon qui s’est mis dans la tête d’épouser une jeune et jolie femme a également fait les beaux jours, de Carlo Goldoni à Ettore Scola, du théâtre et du cinéma italiens. L’opéra-bouffe de Donizetti allie à ce scénario bien connu une inspiration mélodique sans faille et une écriture vocale d’une rare difficulté, à laquelle ne peuvent rendre justice que des chanteurs aguerris à la science du bel canto.
La mise en scène de Tim Sheader, ancien assistant à la fameuse Royal Shakespeare Company, permet de réinterpréter l’ouvrage sans bouleverser les codes du comique ou les attentes du public. L’intrigue, censée ici évoquer la série télévisée Succession, est ainsi construite autour de l’épineuse question de la succession de l’empire commercial bâti par Don Pasquale. Cet univers est évoqué par l’ingénieux décor tournant de Leslie Travers, lequel fait apparaître la luxueuse façade d’un immeuble de bureaux. Dans ce dernier s’affairent une armée de yuppies vissés à leur ordinateur. Derrière ce décor, dans le salon Louis-Philippe au luxe vulgaire et clinquant de Don Pasquale, défilent sur petit écran les chiffres de la bourse. Ernesto, vêtu en jeune baba cool, est visiblement plus intéressé par sa guitare, sa trottinette et la musique qu’il écoute dans ses écouteurs, que par l’héritage qu’on lui fait miroiter. En revanche Norina, présentée dans cette relecture comme une jeune employée de l’entreprise de nettoyage en charge de l’entretien des locaux, a dès le début quelques vues sur la succession de l’entreprise. Bien plus que sur la main d’Ernesto, il faut bien le dire, dont elle semble se soucier comme d’une guigne, n’hésitant pas à accorder des faveurs charnelles au Docteur Malatesta, jeune Mafieux qui semble sortir tout droit du Parrain dans le but de mettre à exécution le projet destiné à berner le vieux barbon.
Si cette vision décidément peu romantique de l’opéra diffère évidemment du livret original, elle n’en délivre pas moins un spectacle infiniment drôle et haut en couleurs, dont le public sait jouir au premier degré. Premier degré notamment assumé au troisième acte de l’ouvrage, avec le relooking de l’intérieur de Don Pasquale, effectué par la jeune (fausse) mariée : un gigantesque sapin de Noël, un petit train porteur de piles de cadeaux, un chœur de lutins en rose fuchsia et, pour le dernier tableau, deux énormes bonhommes de neige gonflables.
Dans cet univers entièrement recontextualisé, drôle et cohérent, évoluent des acteurs impeccablement dirigés et visiblement acquis au concept général de la mise en scène. Très en verve scéniquement dans son personnage de vieux beau obsédé par sa forme physique, Lucio Gallo force la sympathie dans son incarnation du vieux barbon tourné en ridicule. Son instrument n’en montre pas moins quelques signes de fatigue, surtout à côté de celui du Mexicain Germán Olvera qui, en Malatesta, impressionne par un volume tout à fait enviable, un legato dans la grande tradition du bel canto et un chant syllabique d’une rare virtuosité.
Dans le rôle d'Ernesto, remplaçant Michele Angelini (qui remplaçait Anicio Zorzi Giustiniani), Marco Ciaponi fait valoir quant à lui un chant délicat et raffiné, servi par une véritable voix de tenore di grazia au timbre subtil et chatoyant. Chez les dames, le public sera tombé sous le charme de la Sud-Africaine Vuvu Mpofu (Norina), autant pour ses qualités d’actrice que de chanteuse. Rompue à la vocalité belcantiste, quoique pourvue d’un timbre relativement corsé qui pourrait laisser entrevoir d’intéressantes prises de rôle dans les années à venir, la jeune interprète est à l’aise autant dans les vocalises, les trilles et les notes suraiguës que dans les longues cantilènes auxquelles elle sait donner force et substance.
Les quelques phrases du notaire, rôle traditionnellement dévolu à un homme de tessiture basse, sont transposées pour la mezzo Séverine Maquaire qui allie l’élégance de sa présence et les couleurs ambrées de son instrument. Le Chœur de l’Opéra national de Lorraine, peu sollicité dans cet ouvrage, conserve son brio vocal dans les passages chorégraphiés. À la tête de l’Orchestre de l’Opéra national de Lorraine, le chef Giulio Cilona transmet à cette partition toute son énergie et sa vitalité rythmique, sans gommer la dimension romantique quelque peu mise en retrait par la mise en scène. Le public fait un très chaleureux accueil à ce spectacle éminemment divertissant, pétillant de la première note à la dernière et infiniment rafraîchissant.