Requiem de Campra en apesanteur à la Philharmonie de Paris
C’est avec le poignant Miserere que s’ouvre le concert : œuvre déchirante d’affliction et de supplication, ce psaume décrit les affres de l'être humain implorant le pardon divin pour les péchés dont il est coupable ‘dès le sein de [s]a mère’ nous dit le texte, jusqu’à la rédemption finale.
Dès les premiers accords langoureux des cordes, la pâte des Arts Florissants se manifeste : un souci notoire porté à la construction de chaque pièce, à la progression de chaque section, mais aussi à la volonté de porter les nuances les plus douces et les plus flottantes. Le geste de William Christie est à ce titre exemplaire : toujours léger et fluide, il porte les violons avec emphase et décline des couleurs des flûtes, hautbois et bassons avec délicatesse et tendresse, jusqu’à des accents douloureux et expressifs.
Le continuo n’est pas en reste, avec la ligne précise et ornementée de Marie van Rhijn à l’orgue, qui donne une consistante moelleuse à tous les récits accompagnés.
Christie opte pour une vision apaisée et délivrée de souffrance, tant dans le Miserere que dans le Requiem, imposant dans chacune des deux œuvres calme et retenue, même pour les parties les plus vives, ce qui confère au tout un côté nuageux et vaporeux rehaussé par l’acoustique limpide de la Philharmonie remplie à ras bord qui donne éclat et scintillement à chaque instrument de manière singulière.
Si ce choix audacieux permet notamment d’entendre chaque ligne instrumentale et chaque frottement harmonique avec clarté, l'auditeur pourrait regretter, à travers cette vision éthérée et pacifiée, un certain manque de théâtralité et de mordant, surtout dans les parties les plus agitées.
Gwendoline Blondeel déploie, notamment dans le ‘Asperges me’ (Purifie-moi) du Miserere, son beau timbre rond et fleuri, riche en harmoniques graves et en couleurs sombres, avec une simplicité idoine, sans affectation inutile, laissant ses aigus précis et brillants éclater avec équilibre, le tout dans un legato soyeux. Virginie Thomas et Julia Wischniewski l’accompagnent dans les parties à deux dessus avec grâce et homogénéité.
Bastien Rimondi cisèle avec précision et élégance ses soli, d’une voix claire et fraîche, à la justesse impeccable et au phrasé à la diction louable.
Il en va de même pour David Tricou, qui agrémente toutes ses interventions d’une couleur vive et assurée, mais surtout d’une expressivité notoire, faisant de chaque solo une petite scène de théâtre vivifiante.
Antonin Rondepierre enchaîne les soli de taille (ténor baroque) avec une facilité désarmante et une projection très percussive, déliant de longues phrases d’un souffle régulier et homogène. Son vibrato un peu marqué, peu habituel dans ce répertoire, donne une épaisseur lyrique à sa ligne.
Igor Bouin offre de belles interventions de son baryton chaleureux et cuivré, avec une prononciation du latin à la française particulièrement savoureuse.
Quant à Matthieu Walendzik, très sollicité dans ce programme qui fait la part belle aux soli de basse-taille, il affiche avec insolence un focus très concentré, des graves amples et un médium étoffé. Ses aigus, malgré parfois une légère raideur, se déploient avec aisance dans l’immense espace de la Philharmonie.
Le public, après quelques secondes de recueillement qui suivent le majestueux Quia pius es (Car tu es miséricordieux), se lève pour acclamer cet ensemble et ce chef qui, depuis plus de quarante ans, défendent avec ardeur, conviction et savoir-faire la musique ancienne et notamment ce Grand Siècle français si riche en compositions sacrées de premier ordre.