Derrière des barreaux, en vidéo : Fidelio à l’Opéra de Dijon
La prison espagnole du XVIIe siècle devient ici un pénitencier moderne, non sans rappeler ceux de séries américaines. Dans cette ambiance oppressante où règne la discipline martiale d'une froide violence cathodique, la cour principale de cet enclos barricadé et grillagé, scénographié par Valérie Grall, est intensifiée par les lumières (créées par Julien Boizard) réalistes, plus lugubres et concentrées lors des airs. Les costumes (Marie La Rocca assistée de Peggy Sturm) propres à chaque personnage rappellent la hiérarchie bien définie entre les gardiens et les prisonniers. Marzelline (fille du geôlier Rocco, amoureuse de Fidelio qui est en fait Léonore venant libérer Florestan de cette prison), reste pour sa part en tenue de bureau, rappelant la dimension aussi bureaucratique de cet enfermement martial.
La mise en scène souligne la dimension carcérale modernisée par une surveillance vidéo permanente, où chaque geste est "fliqué" en continu avec même une caméra ambulante, tenue et filmée avec grande précision. Les plans synoptiques froids ou au contraire façon reportage en caméra cachée, sont des yeux permanents sur la terrible condition carcérale, forçant le regard du spectateur à voir. D'autant plus que le personnage de la jeune femme qui se déguise en gardien Fidelio pour infiltrer cet univers, agit là aussi comme une immersion terrible, le spectateur découvrant avec elle l'ampleur des injustices de cette prison politique.
Héritant de la "baguette" de Raphaël Pichon à l’Opéra Comique et de Marko Letonja à l’Opéra de Nice, l’enivrante direction d’Adrien Perruchon mène l’Orchestre Dijon Bourgogne avec entrain et expressivité, dans la souplesse et la virtuosité de la partition (son dynamisme percutant s'imposant dès l'ouverture de l'opéra). Sur le plateau, la nouvelle distribution se montre bien équilibrée et investie. Les récits parlés sont fluides, même amplifiés de microphones résonnants (il s'agit d'un Singspiel : opéra-comique allemand, qui n'a rien de drôle, ce terme désignant un genre alternant parlé et chanté). Leonore alias Fidelio, est incarné par la soprano Sinead Campbell Wallace avec toute la ténacité et la vaillance de son combat pour la liberté. Sa voix consistante et charnue se déploie sur des graves timbrés et boisés, ainsi que vers des aigus un peu moins mordants à l’attaque (parfois un peu hauts pourtant). Elle illustre avec une émotion contagieuse son amour éternellement fidèle, des plus touchants notamment lorsqu'elle est à l'isolement.
Son amoureux Florestan incarné par le ténor Maximilian Schmitt, imprégné d'un jeu saisissant. Il fait ainsi d'autant mieux contraster sa situation dramatique avec sa ligne vocale dotée d’un timbre léger et suave (traduisant ses aspirations à revoir le jour). Le chant harmonieux et musical manque toutefois de matière et d’aisance dans les passages exposés, quelques fragilités vocales ne pouvant s'expliquer uniquement par un choix d'incarnation.
La soprano Martina Russomanno (fraîchement sortie de l'Académie de l'Opéra de Paris) incarne une Marzelline énergique et sensible à la voix naturellement souple et légère. Maîtrisant ses lignes, elle s’accorde quelques libertés musicales rendant ses interventions plus séduisantes et captivantes encore. Elle s'applique également à nuancer son chant en ensemble, la voix collective bénéficiant alors d'autant de cette dimension douce et onctueuse des lignes.
Partagé entre le devoir et la liberté, Rocco est dignement endossé par la basse Mischa Schelomianski, en bon officier docile mais n’oubliant pas son humanité. Le jeu demeure ainsi juste et équilibré, mais le grain de voix pourtant présent et caractérisé, voluptueux et agile se laisse couvrir par l’orchestre (en raison aussi d'aigus engorgés). Ce surcroît de nuances modérées gêne également l'intelligibilité du texte.
Le tortionnaire Don Pizarro est joué par le baryton Aleksei Isaev avec toute sa fermeté certaine. Le timbre l’est tout autant et s'appuie sur un chant résonnant et franc dans les médiums et les graves, mais laissant tout de même un rendu légèrement voilé dans les aigus, déséquilibrant la tessiture.
En bon ministre, le baryton-basse Edwin Crossley Mercer joue solennellement Don Fernando et porte un discours distinct et élégant sur une voix puissante et aux graves caverneux. Présent tout au long de l’intrigue, Jaquino joué par le jeune ténor Léo Vermot-Desroches tient son rôle de bon gardien au garde à vous et au sérieux irréprochable, avec une voix légère et juste à la texture vibrante. Il se fait remarquer dès la première scène où sa tentative de faire des avances à Marzelline, impose pour le moins une autorité vocale par de solides accents appuyés et généreux.
Enfin les deux prisonniers (artistes du Choeur) sont joués par le baryton Takeharu Tanaka et le baryton-basse Henry Boyles qui expriment leurs désarrois par des phrases sincères et émouvantes.
Les membres du Choeur de l’Opéra de Dijon se montrent également efficaces, d’abord séparés, le chœur des hommes exprimant le soulagement lors du « chœur des prisonniers », comme sortant de leurs cellules pour la première fois. Réunis avec le chœur des femmes et quelques enfants de la Maîtrise de l’Opéra de Dijon, vêtus de blanc, ils savent également se rassembler en une unité vocale chaleureuse et intense, exprimant le bonheur d’une liberté retrouvée.
Une ovation attend les artistes de ce Fidelio où une fois de plus, l’amour et la liberté sont maîtres.