Les Palimpsestes de Pierre-Yves Macé aux Abbesses
Le “Palimpseste” consistait dans l'Antiquité à effacer un texte pour en réécrire un autre sur les onéreux parchemins (laissant plus ou moins visible le texte précédent). Ce procédé qui pouvait être fait plusieurs fois est aussi, transposé dans le champ musical, une métaphore de ce qu'opère le compositeur Pierre-Yves Macé, revenant remodifier ses anciennes pièces, ajoutant éléments, points d'orgue, silence. Au programme ce soir : “Virgules radiophoniques”, “Maintenant, de toutes nos forces, essayons de ne rien comprendre” et “Kind des Faust” (L’Enfant de Faust, et de Marguerite revenant, vengeur, de l'au-delà : soit un palimpseste également de ce mythe littéraire), qui sont eux-mêmes autant de réécritures du genre de l’opéra et de la cantate (Bach est bien entendu convoqué, entre autres inspirations musicales donnant lieu à un dialogue de sourds entre deux personnages incarnant respectivement le matérialisme et l'idéalisme).
Le dispositif de ce concert contraste par sa simplicité avec ces strates de réécriture, permettant de plonger dans cet univers. Une simple écriture blanche sur le fond noir de la scène annonce l'œuvre à venir, et projette les paroles. Les instrumentistes sont déjà présents à l’entrée du public, effectuant leur mise en place pendant qu'est projeté un compte à rebours avant le début du concert.
La scénographie est ainsi travaillée dans une idée statique et monochrome à la seule exception d’une lumière rouge qui apparaît en fond de scène lors de “Virgules radiophoniques” pour figurer le propos. Élise Simonet créditée de l'accompagnement dramaturgique crée néanmoins des espaces différents sur la scène en opposant délibérément dans leur positionnement les chanteurs. Ils n’entretiennent aucun contact visuel et sont de part et d'autre du chef (leurs textes s’affichent du côté où ils chantent et déclament).
Le ténor Steve Zheng propose une exploration entre le chant mélodique et la parole. Variant le propos intime sous forme de questionnement murmuré et le beau chant dans un timbre rond, lisse et plein, son phrasé est soutenu sans perte de souffle. Sa position statique lui permet de se concentrer sur la clarté de sa déclamation et ne l’empêche pas de traduire ses propos en expressions faciales.
Le dialogue s'opère avec Guilhem Terrail et ils échangent des phrases quoique les deux chanteurs se situent chacun à une extrémité de la scène. Ce contre-ténor place des aigus clairs et fins (en voix de tête) qu’il agrémente de vibratos légers. Ses envolées lyriques sont maîtrisées et n’altèrent aucunement l’articulation et l'intelligibilité des paroles.
Quoique leurs tessitures s'opposent, le contre-ténor Guilhem Terrail et le baryton/basse Laurent Bourdeaux incarnent les diables méphistophéliques d'une manière synchronisée, l'un davantage porté sur la dérision, l'autre sur la menace. Avec l'aide de son diapason (repère dans la complexité musicale de cette écriture), le second atteint toutes ses notes sans difficultés et ses graves sont texturés, légèrement granulés et profonds sans perte de volume sonore.
La soprano Anne-Claire Baconnais porte son attention sur le spectre expressif de sa voix avec des références explicites à la tradition opératique dans des solos virtuoses. Incarnant l’Enfant, elle n’hésite donc pas à explorer des aigus projetés, contrastés par des médiums volontairement moins brillants quand il s’agit de paroles sombres avec les diables (allant jusqu'à l'onomatopée avec des bruits gras gutturaux). La ligne vocale est impeccable, l’articulation de l'allemand est modèle. Son expression s'apaise au fur et à mesure, laissant découvrir une grande capacité d’expression sentimentale à travers sa voix quand l’écho de ses parents résonne.
En effet, un chanteur supplémentaire est présent sous la forme de voix pré-enregistrée(s) diffusées dans deux enceintes placées à la gauche d'Anne-Claire Baconnais sur scène. Le chant du ténor Vincent Lièvre-Picard a subi quelques aménagements par le biais de l’utilisation de procédés de troncage et modifications électroniques, agissant ainsi comme spectre invisible, variant les hauteurs pour incarner le père ou la mère. Le chant est lyrique, plaintif, soutenu dans la crainte avec un volume sonore modéré mais n'empêchant pas quelques envolées maîtrisées.
Les musiciens de l’Ensemble Multilatérale explorent les modes de jeu de leurs instruments. Une fine baguette frappe ainsi le chevalet de la contrebasse. Ailleurs, claque un slap (puissant souffle percussif dans la flûte). Le tout offre un résultat varié mais en place rythmiquement (y compris avec les boucles lançant des extraits radiophoniques) : entre clavier MIDI, célesta, harpe, quatuor à cordes, clavecin.
Léo Warynski propose une direction très structurée mais aussi souple que nécessaire, se tournant stratégiquement vers les différents musiciens pour leur donner tous les départs, toujours très attentif à la cohérence de l’ensemble. Les gestes sont limpides, à l'image des intentions allant à l'essentiel.
Les applaudissements du public agrémentés de plusieurs “bravo” saluent avec enthousiasme ce (re)travail de Pierre-Yves Macé, cette exploration du temps, de l’expression, et du (re)nouveau.