Sjaella, Sororité Sonore à Flagey
Organisé sous la direction de Lionel Meunier, chanteur basse et directeur de l’ensemble Vox Luminis, le festival met à l’honneur la dimension méditative et spirituelle de la voix humaine (aidé par le compositeur américain en résidence, David Lang).
En première partie de cette soirée, l’ensemble Vox Luminis présente la Rappresentatione di anima e di corpo, “dramma” de Cavalieri marquant un début de festival en grande pompe (funèbre). C’est dans une ambiance plus intime que la soirée se poursuit au Studio 1, célébrant les voix féminines, mais surtout, la féminité elle-même avec Sjaella, ensemble vocal féminin a cappella. Inspirées par le terme nordique sial, siæl, signifiant « âme », l’ajout délicat d’un « la » à la fin permet de mettre en relief l'aspect féminin de l’ensemble.
Proches des druides, des ménades et de la déesse nordique Freyja (“déesse de l'amour, de la sexualité, de la beauté, de la terre et de la fertilité”), les six solistes, réparties dans les trois tessitures féminines (alto, mezzo et soprano) proposent un programme éclectique nommé Origins, de Purcell à des arias composés par l’ensemble lui-même en passant par Ēriks Ešenvalds et Paola Prestini.
La salle du Studio 1 est comble, la lumière tamisée se lève progressivement, laissant apparaître les six chanteuses rassemblées en cercle à la façon d’une messe séculaire ou d’un rituel au son de David Lang, Evening Morning Day (2007).
Se référant toujours au thème des cycles et des répétitions, les saisons, les cliquetis du temps, du jour de la nuit et de nos propres corps, le lien avec la chorégraphie occupe une place importante de la mise en scène. Les six chanteuses s'accordent en ensemble vocal et corporel, évoluant entre regards et mouvements de rondes et de cycles, ou se figeant en sérieuses statuaires.
Au cœur du programme, l’air composé par l’ensemble lui-même poursuit le sujet du cycle naturel en le rapprochant du cycle féminin, avec humour. Ce changement du corps vient rejoindre celui de la voix, les solistes jouant de la puissance vocale, certaines marquant les cliquetis du corps qui évolue, tandis que d’autres, plus fluides, tentent d’en expliquer les productions. Le résultat est à la mesure de l’audace, piquant, drôle et partagé avec le public.
La fidélité artistique de ces chanteuses, unies par ce groupe depuis qu’elles ont entre 9 et 11 ans, est au chœur de leur pratique, le chant s’exprimant de façon organique, le souffle comme partagé en fréquence télépathique.
Sjaella se nourrit de l’enfance, de l’innocence et cherche à dessiner le son de la voix de la femme, jouant tantôt le déploiement ou le retrait discret de la voix, voilée ou cachée, avant de la révéler et de la rendre puissante. Cette alchimie musicale réserve au programme concocté un pouvoir psychique enchantant l’auditoire. Il suffit de se retourner pour observer les visages émus et attentifs du public varié, tout âge partagé.
Si l’ensemble se veut fusionnel, chacune des voix réussit pourtant à se faire entendre tout en s’accordant aux autres. Viola Blache (soprano) s’impose par une voix extrêmement lumineuse et limpide, tenant les notes les plus aiguës, menant l’ensemble vers des espaces célestes. Marie Fenske (soprano) place son timbre légèrement plus boisé et baroque vers un tempo plus puissamment marqué. Franziska Eberhardt (soprano) tempérée et cuivrée tient la voix en volupté et roulements. Les variations sonnent très naturelles et glissent en volutes généreuses. Marie Charlotte Seidel (mezzo-soprano) s’offre bivalente avec un timbre boisé au service des tons graves mais réussit à tenir une voix placée et pourtant résonnant haut : presque enfantine pour des aigus clairs et limpides. Helene Erben (alto) dessine sa voix avec un grave chaud et profond, boisé et cuivré. Felicitas Erben (alto) résonne avec elle de sororité, gardant une tonalité métallique en alliage, plus dorée et brillante encore.
Le sextuor se répond mutuellement par la cristallinité de leurs voix, et, ne manquant pas de surprise, amène même des verres remplis d’eau afin d’en frotter les bords et de leur faire également « chanter » la base mélodique des Stars, d’Ēriks Ešenvalds.
La réception du public est à la mesure de la générosité de l’ensemble : ovation debout pour les six chanteuses sous le regard complice de Lionel Meunier.
Ce concert de premier jour de festival annonce ainsi d’emblée la qualité du programme à suivre (notre compte-rendu du concert de clôture mêlant les partitions d’Arvo Pärt et de David Lang est à retrouver ici).