Ulysse de retour à Tours
Le dispositif scénique mis en espace par Mathilde Étienne s’articule à la disposition des musiciens : un bloc central avec l’orgue et le clavecin, à droite un bloc de continuo (harpe, luth, théorbe) et des instruments à vent (sacqueboutes, cornets, flûte), à gauche les cordes.
Au gré de l’action, les personnages évoluent autour de ces blocs et parfois sur un praticable, posé derrière l’orgue (un écran en fond de scène, assez neutre, rougit pour la mort des prétendants et donne à voir un ciel serein quand Neptune accorde son pardon à Ulysse). Cette proposition suit ainsi pleinement l’optique artistique d’Emiliano Gonzalez Toro, qu’il poursuit dans la trilogie des opéras de Monteverdi, et qu’il rappelait encore récemment dans une tribune s’opposant à la vision du “metteur en scène qui ne respecte ni le livret ni la partition”. Les événements sont ici lisibles, sauf la scène de cour où meurent les prétendants, en raison du grand nombre de personnages dans un espace somme toute assez réduit.
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Les musiciens de l’ensemble I Gemelli, préparés par Emiliano Gonzalez Toro assurent la représentation sans direction, avec entrain et une attention parfaite aux chanteurs, tout en usant pleinement des riches sonorités de l’instrumentarium. L’ensemble des artistes donne le sentiment d’une ambiance de troupe où chacun s’investit pleinement.
David Hansen incarne la Fragilità humana (pleurante fragilité humaine), avec une voix de contre-ténor droite, mais tendrement colorée. La prononciation est toutefois lacunaire.
Lysa Menu a un soprano ténu, d’une couleur presque enfantine et assez peu audible en Fortuna dans le prologue. Elle incarne davantage Giunone (Junon) mais d’accents un peu marqués et manquant de stabilité notamment dans les bords de sa tessiture, en vocalisant a tempo (sur les temps).
Anders Dahlin propose une voix de haute-contre de format mesurée mais avec des couleurs sombres et une bonne prononciation. Il assume pleinement l’incarnation de Pisandro, personnage de prétendant couard et souvent dépassé (mais aussi dans le volume sonore en ensembles).
Le ténor Álvaro Zambrano interprète Eurimaco, l’amant assez effacé de Melanto. Sa voix est plutôt sonore et étendue, d’un timbre solaire, mais le rôle assez limité ne lui permet pas de déployer plus avant ses talents.
Assumant à lui seul et avec brio la dimension comique et populaire de l’œuvre, Fulvio Bettini campe un Iro (serviteur des prétendants) dans la tradition dell’arte, avec une liberté de ton qui lui fait proférer des sons ridicules, voire volontairement enlaidis, pour mieux incarner son personnage (sans négliger ailleurs sa voix de baryton claire et bien projetée).
Alix Le Saux prête à Ericlea, la nourrice d’Ulysse, sa voix de mezzo-soprano chaleureuse, lumineuse et sonore, très naturelle et chargée de couleurs, qui la rendent maternelle et protectrice, pétrie d’humanité.
Christian Immler campe Neptune avec une grande autorité et sa voix de baryton-basse, très projetée, sombre et timbrée. La prononciation parfaite et la superbe dans la ligne de chant parachèvent l’incarnation.
La soprano Mathilde Étienne, qui a également réglé efficacement la mise en espace, chante Melanto, suivante de Pénélope, d’une voix un peu droite (manquant de puissance et de couleurs). Le jeu est appliqué mais le volume est souvent couvert.
Avec sa voix de ténor claire et très sonore, étendue et aisée d’émission, Juan Sancho souligne la forfanterie du prétendant Anfinomo. Il caractérise ensuite Giove (Jupiter) avec une voix plus assise et plus large.
Le ténor Zachary Wilder présente un Telemaco juvénile, mais énergique, avec une voix longue, bien projetée, très souple et d’un timbre lumineux. Sa présence et variété de couleurs judicieuse, va du désespoir lorsqu’il croit avoir perdu son père, à une tendresse quasi érotique lorsqu’il évoque Hélène de Troie.
Mayan Goldenfeld déploie un soprano étendu avec des sons poitrinés, mais un medium en retrait et un format global assez réduit en Fortuna. Elle incarne au contraire une Minerva solide, puissante et déterminée, compensant finalement assez bien par un engagement scénique remarqué, une voix qui manque un peu de largeur pour ce rôle.
Le ténor Nicholas Scott incarne le berger Eumete, pendant masculin d’Ericlea, la nourrice. La voix déploie avec aisance, lumière et chaleur, rendant à merveille la dimension humaine et généreuse du personnage. Elle peut aussi se montrer plus véhémente et parfois friser des postures comiques.
Nicolas Brooymans offre la riche puissance de sa basse, large, chaleureuse, assumant des sons cuivrés mais également âpres, vindicatifs, colériques. La ligne de chant est sculptée sur une diction limpide. Une présence scénique très forte, captivante, amplifie puissamment son jeu théâtral. Il campe ainsi un Tempo hiératique et sentencieux dans le prologue, puis le prétendant Antinoo, qu’il compose sur le mode héroïque et autoritaire.
Fleur Barron a une voix de mezzo-soprano puissante, sombre, d’un timbre riche et vibrant, étendue, très déployée. Elle confère ainsi à Pénélope une stature de femme blessée, éplorée, mais solide, forte dans ses convictions. Le lissage n'est pas encore pleinement établi entre la voix poitrinée et le bas medium, mais cela contribue aussi à l’ambiguïté du personnage, qui doit perpétuellement donner le change et assumer sa majesté. Sa Pénélope à la « Turandot », froide et puissante, s’humanise à nouveau lorsqu’elle reconnaît enfin Ulysse, la voix se parant alors de plus de lumière et de légèreté. La déclamation récitative est aussi libre que maitrisée.
Emiliano Gonzalez Toro, grand ordonnateur de cette soirée, incarne également le rôle-titre. Sa voix de ténor est large, riche et toujours sonore, même lorsqu’il incarne le vieux mendiant, en amenuisant la ligne jusqu’au quasi murmure. La voix traverse colère, bravoure, mais aussi douceur, quand il se donne à reconnaître à Telemaco, jusqu'à la tendresse extrême dans la scène finale. Il déclame comme s’il improvisait, avec un tempérament d’acteur, nécessaire pour incarner les divers visages du personnage.
Le public salue avec ferveur et enthousiasme cet engagement et cette attention constante au détail et au sens du contraste.