Le haute-contre de Gluck à Bozar
Depuis quelques années maintenant, Reinoud Van Mechelen et son ensemble A Nocte Temporis explorent le champ musical de la voix de haute-contre (que nous vous présentons sur Ôlyrix comme pour les autres tessitures) à travers ses interprètes et compositeurs phares. Deux chanteurs historiques avaient été abordés lors des saisons précédentes : Pierre de Jéliote (haute-contre de Rameau) et Louis Gaulard Dumesny (haute-contre de Lully).
L’ensemble avait également présenté à BOZAR en janvier 2023 le “premier opéra français composé par une femme”, Céphale et Procris (notre compte-rendu).
Le triptyque est à présent complet : l’ensemble et le directeur musical reviennent avec un programme centré sur Joseph Legros, voix de haute-contre du compositeur Gluck (et de bien d’autres). “Dernier haute-contre de sa génération”, Joseph Legros sera supplanté par les « véritables ténors » à la voix plus puissante qui auront plus de mal à s’approcher du répertoire ancien, marquant une scission à la fois technique et historique dans le champ vocal masculin aigu.
Afin de proposer un portrait musical précis, Reinoud Van Mechelen ne s’est concentré que sur la musique composée du vivant de Legros, autour de trois axes principaux : « les débuts de Legros » (1764-1773), « Gluck arrive à Paris » (1774) et « Un directeur sur les planches » (1775-1779) car il dirigeait Le Concert Spirituel.
Le directeur musical et chanteur présente ainsi un programme aux allures biographiques de Legros et de son lien avec un panthéon de compositeurs : Jean-Benjamin de La Borde (1734-1794), Pierre-Montan Berton (1727-1780), Jean-Claude Trial (1732-1771), Christoph Willibald Gluck (1714-1787), François-Joseph Gossec (1734-1829), André-Ernest-Modeste Grétry (1741-1813), Niccolò Piccinni (1728-1800) et Johann Christian Bach (1735-1782).
Reinoud Van Mechelen fait le choix bivalent de diriger l’ensemble, dos tourné au public, et de se retourner pour déployer sa voix haut placée, modelée, vibrante et expressive, laissant le texte apparaître avec une grande clarté. Ainsi, au service tour-à-tour de la direction musicale mais également de la voix soliste, Reinoud Van Mechelen marque son double-rôle par sa fluidité. Sa conduite est souple, complice, et la voix du chanteur reste très expressive. Le soliste fait cœur avec son ensemble, la voix se faisant tout autant “instrumentale” que les cordes, clavecin, fagott (basson baroque), hautbois, traverso (flûte), basson, cor et trompettes. Le directeur sait également déployer une théâtralité bienvenue au service de la voix maîtresse, l'ensemble orchestral laissant alors place au soliste.
L’effet instrumental propose ainsi une musique enlevée et portée par un rythme cyclique et léger dont l'expressivité reste mesurée et réfléchie.
Dans cette salle de BOZAR, occupée à mi-capacité, la sensation intimiste de la musique de chambre se voit ponctuée par la complicité chaleureuse de l’ensemble.
La réception de l’auditoire est à mesure de l'intimité du répertoire, chaleureuse et mesurée.