La Néréide, Trois Dames de Ferrare à Dijon
Le "concerto de donne" (concert de femmes) qui rayonnait musicalement à la cour de Ferrare dans la dernière décennie du XVIe siècle fait partie de ces ensembles dont tant de témoignages parlent mais que personne ne peut entendre (ou presque). Ces trois Dames historiques, Laura Peperara, Anna Guarini et Livia d'Arco chantaient en effet exclusivement pour le Duc de Ferrare. Faits pour elles, les Madrigali per cantare e sonare a uno e doi e tre Soprani ne seront publiés par Luzzaschi qu'en en 1601 et ce répertoire, après être resté longtemps secret, sera ensuite délaissé.
L'ensemble vient ainsi offrir à nouveau, et au Grand Théâtre de Dijon, cette musique si soigneusement gardée, qui a toutefois été également enregistrée par l'Ensemble Doulce Mémoire de Denis Raisin-Dadre en 2007. Le Trio "La Néréide" donne le plaisir de replonger au concert dans cet univers fascinant, avec toute la qualité vocale de leur trio.
Camille Allérat offre quelques-uns des plus beaux solos, possédant un excellent contrôle sur toute sa tessiture, avec un registre inférieur adorablement enfumé qui colore à la fois ses lignes et les graves des ensembles à trois voix. Certains poèmes demanderaient toutefois davantage de contraste dépassant cette appréciable douceur.
L'articulation n'est pas un souci pour Julie Roset. Avec un contrôle technique total, elle déploie une vaste gamme de contrastes dynamiques (dont d'impressionnants pianissimi), soulignant la théâtralité du madrigal autour de 1600. Mais elle peut aussi évoquer une remarquable dureté, ajoutant aux contrastes poétiques bienvenus. Sa grande souplesse vocale lui permet de se fondre dans les textures complexes, ou homophoniques (mêmes sons) et de s'imposer comme soliste à part entière.
Ana Vieira Leite semble jouer la carte de la sécurité aux côtés de ses deux collègues, en prenant soin de se fondre dans l'ensemble. D'autant qu'elle maîtrise ses lignes avec rondeur et contrôle constant de la dynamique dans une forme de simplicité épurée, en particulier lorsque le continuo (instrumental) lui donne l'espace sonore nécessaire pour briller de manière éthérée. L'impression de retenue s'effrite alors, et elle ne dure même qu'une dizaine de minutes, lorsqu'elle rejoint Julie Roset dans une vocalité vive (parfois même d'un caractère sauvage). Parmi ces tre donne aux voix pourtant très riches individuellement, elle déploie une palette un peu plus vaste encore d'expressions.
Si les dames de Ferrare étaient connues -dans leur légende- pour s'accompagner elles-mêmes avec talent et même virtuosité, La Néréide s'installe ici côte à côte avec les instrumentistes dans une autre forme de discours. L’interprétation de presque chaque madrigal se voit toutefois précédée d'un long prélude, plus ou moins basé sur le matériau de la pièce et mettant en relief les instrumentistes (Ronan Khalil au clavecin, Gabriel Rignol au théorbe et Manon Papasergio à la harpe et viole de gambe). Toutefois, ces préludes sont ici rajoutés aux œuvres et surtout, la richesse mélodique des chanteuses, au lieu de s'accompagner simplement, incite visiblement les instrumentistes à déployer eux aussi leur richesse (traduisant certes la richesse de leur préparation et se déployant avec élan). Il en résulte des textures chargées qui entravent souvent les subtilités vocales.
Le public dijonnais couvre d'éloges les instrumentistes et les chanteuses de cette soirée comme en compagnie d'Alfonso II d'Este et de ses proches courtisans, les artistes leur répondent en reprenant deux numéros notamment le "T'amo mia vita" résumant les qualités de la soirée.