Brillant et Milanais Barbier de Séville à l’Opéra de Tours
Laurent Campellone, Directeur de cette maison Tourangelle, a eu l’heureuse idée de conclure un partenariat avec l’Académie de La Scala de Milan -institution particulièrement dynamique offrant une formation complète à de jeunes artistes, en musique, en danse ou aux métiers du spectacle- pour cette nouvelle production du Barbier de Séville de Rossini. De fait, tous les interprètes lyriques ici choisis, en dehors de Franck Leguérinel dans le rôle de Bartolo, se trouvent actuellement en formation au sein de l’Académie de cette prestigieuse maison italienne. Ils viennent d’ailleurs tous d’assurer courant septembre dernier une série de représentations de ce même ouvrage au Théâtre de La Scala sous la baguette d’Evelino Pidò et dans une mise en scène du cinéaste Leo Muscato.
À Tours et très rapidement -ce qui paraît tout autant formateur-, ils doivent s’adapter à une autre mise en scène, ici signée Émilie Delbée, et à une cheffe, Clelia Cafiero, qui a dirigé avec grand succès Carmen cet été aux Chorégies d’Orange. Le résultat d’ensemble démontre le jeune mais réel professionnalisme de tous ces artistes et leur bonheur d’interpréter un ouvrage d’une telle envergure. De fait, Émilie Delbée (qui a remonté la production de Nicolas Joël du Tristan et Isolde de Wagner au Théâtre du Capitole de Toulouse la saison dernière et qui signe ici mise en scène, costumes et scénographie) a choisi le parti de la vitalité et de la légèreté. L’action se déplace dans une station balnéaire des années 20, lieu de villégiature où toutes les catégories sociales se côtoient. Émilie Delbée, qui a élaboré un dispositif simple et diablement efficace, démêle l’écheveau tortueux de ce Barbier avec une vitalité rayonnante et une dynamique incessante. Les lumières mordorées conçues par Elliott Ganga rehaussent encore ce spectacle haut en couleurs, où se croisent un homard géant, un ballon-poisson et même des cris de mouette.
La jeunesse des interprètes et leur enthousiasme permanent viennent capitaliser cette approche et lui rendre sa fraîcheur d’origine. C’est le vétéran Franck Leguérinel qui mène la barque. Son Bartolo qui déborde de toutes parts et en tous sens, faussement ingénu ou carrément mielleux, occupe la scène avec tout le métier assuré qui est le sien. Il impulse pour ses jeunes collègues une énergie presque vitale qui semble les galvaniser. Il apparaît très en forme au plan vocal, notamment dans les redoutables parties rapides de son air, apanage des basses bouffes rossiniennes.
À ses côtés, la mezzo-soprano italienne Mara Gaudenzi déploie une voix d’une grande facilité et large, dotée d’un timbre profond et rayonnant à la fois. La vocalise est généreuse et aisée, l’interprétation de Rosine pleine de saveur et de fausse ingénuité. Elle est engagée à chanter ce rôle sur plusieurs scènes italiennes et ce à juste titre, tant sa prestation apparaît déjà fort accomplie.
Le ténor Pierluigi D'Aloia, incarne Almaviva/Lindoro avec une svelte classe. Sa voix très claire de timbre et d’un ambitus déjà affirmée, à l’aigu en place, doit encore s’assouplir cependant, et les vocalises manquent encore de précision.
Le Figaro du coréen Sung-Hwan Damien Park éclate de santé et de présence scénique. Son fameux air d’entrée “Largo al Factotum" lui permet de dévoiler un matériau vocal d’une rare solidité, doté d’une projection en salle de premier ordre. L’aigu éclatant, la richesse de la ligne vocale, un timbre raffiné, marquent son interprétation.
De même, le Basilio du chinois Huanhong Livio Li, à l’imposante présence scénique, se montre à la hauteur de la mission. Cette authentique voix de basse, aux graves bien assurés et mordants, donne une lecture presque inquiétante du rôle. Son interprétation de l’air de la calomnie est conduite avec beaucoup d’expressivité et une montée en puissance qui lui valent de vifs applaudissements de la part du public.
La soprano pisane Greta Doveri n’est pas en reste. Elle s’illustre dans l’air de Berta au second acte et lui confère une réelle singularité. Cette voix aux aigus un rien dardés et au timbre enveloppant évoque sans nul doute une future interprète de la Zerlina du Don Giovanni de Mozart.
Le baryton Giuseppe de Luca fait valoir en Fiorello une voix affirmée et vaillante, malgré la brièveté du rôle. Le comédien Cédric le Stunff (de la Ligue d'Improvisation de Touraine) campe le domestique Ambrogio avec beaucoup de saveur, tandis que la basse Yaxiang Lu, membre permanent du chœur de Tours, se charge du rôle de l’Officier avec assurance.
Cheffe principale invitée de l’Opéra de Tours, Clelia Cafiero affronte le Barbier avec une détermination complète, sans jamais relâcher le tempo ou se laisser distraire. Dès l’ouverture, sous sa direction, la musique de Rossini pétille de mille feux et semble comme baignée de soleil. L’Orchestre Symphonique Région Centre-Val de Loire/Tours et le Chœur maison préparé par David Jackson, apparaissent au meilleur de leur forme (malgré les soucis financiers qui pèsent encore sur la culture). Dans l’attente, les vives acclamations du public de Tours, venu emplir ce théâtre en ce dimanche, n’ont pu que les réconforter. Les jeunes (ou moins jeunes) artistes sont justement et longuement ovationnées. Laurent Campellone souhaite, devant le succès remporté par cette expérience, réitérer l’opération avec d’autres Académies vocales.