Lauranne Oliva remporte le Concours Voix Nouvelles 2023
Avec seulement deux ténors pour représenter les voix masculines, et trois chanteuses de format léger en concurrence, la soirée fait la part belle aux voix aiguës. Pendant plus de 2 heures, les candidats et candidates se succèdent, interprétant chacun deux airs du grand répertoire devant un jury pléthorique (plus de 30 personnes !) marrainné par Agnès Jaoui. Sur la scène de l’Opéra Comique, les chanteurs et chanteuses sont accompagnés par l’Orchestre Philharmonique de Nice en bonne forme dans ses différents solos (malgré un son d’ensemble pas toujours très uni), très impliqué musicalement grâce à sa cheffe, Chloé Dufresne, qui accompagne chacun avec attention et imagination, d’un geste ample et sûr. Enfin Aliette de Laleu, l’une des voix de France Musique, présente chaque candidat avec humour et sympathie contribuant à une ambiance bienveillante pour que les artistes puissent donner le meilleur d’eux-mêmes.
C’est à Emy Gazeilles -dont nous avons récemment publié une interview-, que revient d’ouvrir la soirée : une place difficile, pourtant la soprano de 23 ans, déjà en troupe à l’Opéra de Paris, apparaît d’emblée très à son aise, prenant l’espace de la scène pour faire vivre ses personnages. La maîtrise et la confiance de l’artiste impressionnent : la voix légère et argentée possède une couleur très juvénile, un peu vibrante, s’ouvrant sur des aigus (et suraigus) puissants qui en imposent. Grâce à une belle longueur de souffle, la soprano ose des nuances bienvenues voire des ornements dans une Fille du Régiment bien incarnée. Elle obtient le 6ème prix.
Lotte Verstaen, qui se voit décerner le 5ème prix, a pour elle un timbre sombre très couvert, une couleur qui la singularise, chaude et presque nasale, avec des aigus forte brillants et puissants, mordant dans le son par de légers coups de glotte. Un chant expressif et engagé (le corps de la mezzo-soprano accompagne l’effort du chant de manière visible) mais peu attentif aux mots, une voix finalement plus à l’aise dans les grands éclats La Pucelle d'Orléans de Tchaïkovski (en français) que dans la ligne de La Favorite de Donizetti.
Héloïse Poulet est une candidate étonnante. La voix n’est pas la plus impressionnante de la soirée, de format plutôt modeste, mais bien maîtrisée et souple : le timbre est centré, parfois un peu pincé, cependant tout cela s’oublie vite devant la présence de la chanteuse. Piquante et papillonnante dans la Folie de Rameau, où la soprano prend la lumière de la scène avec un goût évident du texte, elle se métamorphose quelques secondes plus tard en Juliette crédible. Qu’importe si l’instrument n’a pas vraiment la dimension pour chanter l’air du Poison de Gounod, notamment dans un medium en lutte avec l’orchestre : la chanteuse affronte avec sérénité la tessiture et apporte une des grandes et sincères émotions de la soirée, grâce à un jeu qui ne cherche pas à séduire (alors que c’est souvent le cas ce soir de ses autres collègues), mais qui touche juste, notamment dans les récits. Le jury lui décerne le 4ème prix.
Juliette Mey, mezzo-soprano récompensée récemment au Concours Reine Elisabeth -et dont nous avons récemment publié une interview- était attendue. La voix est ronde sur toute la tessiture, le timbre flatteur et centré possède une couleur claire et lumineuse. Cependant une diction un peu floue et une caractérisation timide desservent l’air de Cendrillon de Massenet, d’autant plus que l’orchestration généreuse du compositeur ne ménage pas un medium plutôt léger. La mezzo sonne plus à son aise chez Rossini dont les vocalises flattent une belle musicalité jusqu’à des aigus sûrs, une prestation qui lui vaut un 3ème prix.
Le 2ème prix revient à Léo Vermot-Desroches (dont nous avons récemment publié une interview) : le ténor en impose par sa maîtrise scénique et musicale. Visiblement très à l’aise avec l’exercice, il ose des nuances jusqu’au piano avec une voix souple, à la couleur très française, s’appuyant sur une articulation précise et une belle longueur de souffle. Le timbre clair tend à devenir nasal en approchant des aigus de la Chanson d'Eisenach d’Offenbach, et c’est avec une certaine prudence qu’il affronte les éclats lyriques de L'Arlesiana de Cilea, soit en voix très mixte (plus proche de la tête que de la poitrine), soit avec une vaillance un peu rude.
Lauranne Oliva obtient le premier prix et le prix des Opéras suisses. La soprano possède une voix ronde au timbre cristallin et doux, plus lumineux qu’éclatant : il faut dire que la chanteuse ne force jamais l’instrument, osant des attaques d’une souplesse remarquée dans l’extrême aigu du “Caro Nome” de Verdi. Elle respecte également son medium, qui, jamais poussé, se pare néanmoins de couleurs ambrées intéressantes pour la suite de sa carrière. Une maîtrise technique impressionnante qui aurait peut-être mérité un peu plus d’engagement dramatique (souvent réduit à porter la main au cœur) : l’avenir, qui s’annonce riche de promesses, devrait s’en charger.
Le choix du jury récompense ainsi les chanteurs qui semblent les plus prêts pour la carrière, cependant ce soir aucune personnalité ne semble s’imposer avec évidence au-dessus de la mêlée et les voix qui ne sont pas au palmarès sont loin de démériter.
Livia Louis-Joseph-Dogué est la benjamine du concours, révélée par Les Voix des Outre-Mer. À seulement 20 ans avec peu d’années de chant, son manque d’expérience se fait un peu sentir comparé à des collègues qui chantent déjà à l’Opéra de Paris. Peu importe : la soprano apporte une belle présence à sa Micaëla en quelques regards avec un timbre chaud et rond. L’instrument n’est pas encore tout à fait uni, avec un grave sombre plutôt parlé et des aigus brillants souvent forte (quoique la chanteuse ose des nuances notamment chez Bizet). Il lui manque encore du centre et de la ligne pour convaincre tout à fait en Liu ce qui ne l’empêche pas de repartir avec le prix du public.
Après Lotte Verstaen, l’autre belge de la composition, est elle aussi mezzo-soprano. La voix de Linsey Coppens frappe d’emblée par sa puissance, étant l’une des rares de la soirée à posséder un véritable impact dans le medium et des graves poitrinés sans être appuyés. Le timbre, un brin nasal, est brillant, avec un métal tout à fait intéressant. Pour autant la mezzo privilégie le répertoire belcantiste plutôt que celui dramatique vers lequel elle devrait se diriger un jour. Avec l’air des Huguenots et celui du Barbier de Séville, la voix se plie aux exigences de l’écriture, dessinant une Rosine qui ne manque pas de tempérament ! Un talent à suivre.
Dernière de la soirée à entrer sur scène, troisième soprano “légère”, Lila Dufy n’hérite pas d’une position facile. Elle captive pourtant par un timbre singulier, vibrant et coloré, pas toujours parfaitement défini, mais, un instrument puissant qui s’ouvre sur les plus beaux suraigus entendus jusqu’ici. Le plaisir que prend la chanteuse à jouer avec le son, son aisance (peut-être plus musicale que théâtrale) réussissent à captiver le public dans l’air du Coq d’or de Rimski-Korsakov et surtout dans celui du Comte Ory de Rossini qui finit la partie musicale de la soirée. Elle repart néanmoins sans récompense.
Valentin Thill est un peu en retrait ce soir. Pourtant la voix a des qualités à faire valoir : un timbre claironnant, avec un tranchant bienvenu pour affronter des airs à la fois exigeants et moins connus extraits de Benvenuto Cellini de Berlioz et de Gianni Schicchi de Puccini. Un choix exigeant, qui dénote une personnalité musicale engagée avec une certaine évidence dans le répertoire français. Le timbre est légèrement instable mais le chant ne manque pas de panache, osant la voix mixte (un mélange de tête et de poitrine plus ou moins vaillant) et un bel engagement dans le texte. La fatigue se fait sentir dans ces tessitures particulièrement difficiles et les aigus finissent par se voiler.
Après avoir applaudi la proclamation des résultats, le public se disperse visiblement enthousiasmé d’avoir découvert de nouveaux talents, et de pouvoir suivre leur parcours.