Le Couronnement de Poppée, ou l'Amour triomphal à l’Opéra de Rennes
« Que se passe-t-il lorsque nos valeurs morales sont mises au rebut ? Que pouvons-nous faire lorsque nous assistons, impuissants, à l’effondrement d'un certain ordre du monde ? » Telle est la question que (se) pose le metteur en scène Ted Huffman dans le programme, une question que pose "Le Couronnement de Poppée" par Néron dont le sentiment amoureux l'emporte sur la vertu (il répudiera Octavie), une question qui résonne bien entendu encore et toujours avec notre société.
La mise en scène met le spectateur face à ces questions, d'autant plus visibles dans ce plateau à nu, sans coulisses pour cacher des intrigues ou pour permettre aux personnages/interprètes de se réfugier. Dans ces décors conçus par Johannes Schütz adaptés par Anna Wörl, seule une grande alcôve blanche occupe le fond de scène, abri illusoire pour les protagonistes qui y deviennent les spectateurs des souffrances qui les attendent. Dans la Cour de cette Rome totalitaire, tout reste à la vue de tous, point d'intimité. Les personnages déplacent eux-mêmes quelques meubles-accessoires et ce sont surtout les lumières contrastées de Bertrand Couderc qui définissent les changements soudains de lieux. Surplombant le plateau, un immense tube rouillé peint de blanc et de noir semble symboliser le bien et le mal, manichéisme fatigué, écrasant. Les costumes d’Astrid Klein, de nos jours, mettent en valeur les formes des corps, y compris dans les tenues (très) légères.
Le plateau vocal est renouvelé pour ces représentations rennaises (après Aix et Versailles), offrant l’opportunité de prises de rôles pour plusieurs jeunes artistes. L'ambitieuse et séductrice Poppée est incarnée par Catherine Trottmann, qui installe son jeu piquant et son timbre légèrement sombre (perdant malheureusement en justesse dans ses élans vers les aigus).
Le contre-ténor Ray Chenez assume pleinement le rôle de Néron, le jouant en jeune premier séduisant et imbu de lui-même. Son timbre brillant, particulièrement dans les sommets de la tessiture, sait se faire puissant et vigoureux, aussi bien que sensuel et capricieux. Certains médiums et surtout les graves manquent cependant quelques fois de corps.
Victoire Bunel prête sa voix à la noble et fière Octavie, ainsi qu'à la Vertu lors du Prologue. Sa voix chaude et caressante sert pleinement l’incarnation d’une femme blessée, humiliée, mais fière et touchante dans sa colère. Ses lamentations sont notamment investies de longs et lourds silences remplis d’un chagrin déchirant.
Othon est chanté par le contre-ténor Paul-Antoine Bénos-Djian, lui apportant la sensibilité de son timbre doux et moelleux, servant un discours toujours très naturel. Adrien Mathonat en Sénèque impressionne par sa voix profonde, très présente et pleine d’autorité. Sa mort est un moment fort, par le chant qui la précède mais aussi par la suite : l'interprète fait le mort d'une manière d'autant plus troublante que Néron dans sa cruauté malsaine, fait boire du vin à ce défunt et lui articule les bras tel un pantin.
Paul Figuier offre une hilarante interprétation en grande et blonde nourrice Arnalta pour seconder Poppée, et en sérieuse nourrice d’Octavie brune à lunettes (il se change de fait sur scène, ajoutant au comique du travestissement et au jeu du théâtre). Son timbre est néanmoins rond et tendre, presque maternel, avec un soin tout particulier de la diction.
Maïlys de Villoutreys offre une voix fine à la Fortune et à Drusilla, agile et claire. Camille Poul incarne l’Amour et un valet avec investissement et dynamisme d’une voix lumineuse et d’un timbre plein.
Thibault Givaja est un Libertus et soldat à la diction attentive et claire, tandis que les quelques interventions de Yannis François en Licteur et familier de Sénèque font entendre une voix chaleureuse. Le poète Lucain est interprété avec agilité vocale par Sebastian Monti, qui incarne également un soldat et un familier de Sénèque.
Sous la direction très attentive et sensible de Damien Guillon, les musiciens du Banquet Céleste donnent pleinement vie à ces accompagnements rythmés, vifs. L’attention aux chanteurs se fait extrêmement précise et constante.
Le public applaudit et rappelle longuement l’ensemble des artistes, manifestant sa joie d’avoir entendu de si talentueux jeunes chanteurs ainsi que Le Banquet Céleste, ensemble en résidence qui fête cette saison ses quinze ans d’existence.