La Bohème à Metz, à l'ombre du Moulin Rouge
Cette production de La Bohème voit également l’Opéra-Théâtre Eurométropole de Metz se placer sous le mot d’ordre du “ré-emploi” dans un esprit d’éco-responsabilité, lequel se manifeste dans la scénographie par la ré-utilisation importante d’éléments de décor préalables (ce qui ne se perçoit que pour qui a les références des productions précédentes). Ce travail avait en fait été mené dès la conception de cette mise en scène déjà présentée en 2017, mais comme l'explique la responsable des décors, Valentina Bressan, cela n'avait pas été communiqué au public alors, "on en parlait pas encore assez."
Son travail donne un résultat simple et fonctionnel, discrètement et subtilement éclairé par Patrick Méeüs : de quoi évoquer la mansarde où cohabitent les jeunes protagonistes, une place animée, un coin de rue près des confins de Paris, et le Moulin Rouge (dont les ailes sont visibles depuis la mansarde). Le film « Moulin Rouge » est même évoqué dans la plaquette distribuée en salle, comme référence esthétique, qui apparaît nettement lors du deuxième acte avec des éléments de décor oniriques (à la Méliès), et dans les très colorés costumes de Dominique Louis.
La mise en scène de Paul-Émile Fourny colle au déroulé de l’action, de manière classique mais très efficace, réussissant, malgré l’animation visuelle riche en personnages sur cette scène aux dimensions réduites, à mettre en avant les solistes qui ponctuent la mise en place de ce pittoresque « paysage sonore » parisien. Le jeu des acteurs est assez fluide et lisible constamment. Toutefois, comme déjà repéré dans notre compte-rendu de 2017, il est toujours aussi étonnant de voir des personnages se laisser mourir de froid (dans son costume Moulin Rouge couvrant peu Mimì) sans se saisir des couverture et pelisse avoisinantes.
Les artistes du Chœur maison (préparés par Nathalie Marmeuse) sont habillés de ces costumes impressionnants, très Moulin Rouge. Ils s’investissent de leur mieux dans les actions théâtrales et même un french cancan. Quatre d’entre eux assument les petits rôles, ces figures du temps : Daegweon Choi en Parpignol au ténor très mesuré mais de caractère, Ge Song pour le Chanteur ambulant placé dans le médium sans davantage de déploiement, idem dans le grave pour Jean-Sébastien Frantz en Douanier, et pour Thomas Roediger en sombre et discret officier. Le Chœur d'enfants du Conservatoire, préparé par Annick Hoerner, s’engouffre sur la scène déjà bondée du deuxième acte avec énergie (quelque peu brouillonne musicalement) dans de forts jolis costumes.
L’Orchestre national de Metz Grand Est doit déployer ses forces jusqu’aux deux loges latérales et en se serrant en fosse. Cependant, sous la direction attentive de David Reiland, il fournit à l’œuvre son écrin sonore, sachant alterner les moments légers et burlesques du Paris populaire, avec ceux, suspendus, plus lyriques des effluves amoureuses, vagues orchestrales (des cordes en particulier), soutenant pleinement le déploiement vocal des passions entre Rodolfo et Mimi tout au long de l’œuvre. Enfin, la dimension implacable des moments tragiques culmine dans la dernière déclaration amoureuse et les adieux, vers une longue et belle phrase descendante, accompagnée comme une marche funèbre.
Bertrand Duby incarne Monsieur Benoît, le propriétaire importun, avec son engagement théâtral, assumant la veulerie du personnage. La voix est présente par un timbre sombre, se pliant à une caractérisation efficace également en Alcindoro, mais couvert dans la dynamique globale.
Csaba Kotlár incarne Schaunard, le musicien du quatuor, d'une voix projetée au timbre juvénile, mais hélas souvent couverte (ce qu’il essaie de compenser un peu par des éclats de voix, qui somme toute vont assez bien avec sa conception énergique du personnage "charmeur" du groupe).
Colline, le philosophe de la troupe est bien campé par Alexey Birkus dans ses postures de magister. La voix est d’un format sonore, large, d’une pâte chaude et lyrique. Un peu réservé théâtralement, il se concentre sur l'émotion de son air « de la pelisse ».
En Marcello, le peintre, Joan Martín-Royo déploie sa voix large, chaleureuse et d’une grande présence, assumant à la fois le rôle d’ami fidèle et d’amant de Musetta : il sait différencier les situations en y déployant les couleurs utiles, marquées parfois avec intensité.
Perrine Madoeuf incarne une Musetta échevelée, qui arrive comme une star de Music Hall (Moulin Rouge oblige !), minaudant à souhait, usant de sa longue voix, fine et légèrement acide, pour caractériser le personnage comme une femme-enfant, capricieuse. La voix est très projetée et audible notamment dans ses couleurs plus lyriques, riches notamment dans le medium efficace et sonore.
Le couple central formé Mimì et Rodolfo sait allier deux voix, tempéraments et timbres assez différents pour se conjuguer. Leurs voix restent toujours présentes, en duos et en plus larges ensembles.
Le Rodolfo d’Amadi Lagha est tour à tour enflammé, charmeur, jaloux, éperdu d’amour puis désespéré, comme il se doit. Sa voix de ténor, large, cuivrée et très sonore, va du velours des demi teintes aux éclats de passion, et même aux cris de douleur. Théâtral dans le jeu de séduction, il y instille une forme de juvénilité, traduisant une vitalité qu'il déploie dans les moments exposés.
Tuuli Takala incarne une Mimì plutôt réservée et d'autant plus touchante à en juger l'effet sur le public, en assumant la pudeur de cette jeune fille. Sa voix de soprano est d’une très grande ampleur, plutôt lunaire et argentée, avec une grande palette dynamique et une grande virtuosité de couleurs. La fin la montre dans une forme de paix et de sérénité, qui va se fondre dans le silence de la mort.
Le public réserve à cette production et aux artistes un accueil enthousiaste.
