Flavio, roi Soleil au Bayreuth Baroque Festival
Cette nouvelle production est la troisième pour Max Emanuel Cenčić dans ce Festival qu’il dirige. Après Carlo il Calvo de Porpora et Alessandro nell'Indie de Leonardo Vinci, il choisit une rareté de Haendel, qui s’éloigne de l’opéra seria en dressant une satire politique et sociale, entre comédie et tragédie, entre rires et larmes (alors que l'histoire s'inspire directement du Cid de Corneille).
La lecture de Max Emanuel Cenčić replace l’histoire de ce Flavius Bertaridus (roi médiéval des Lombards) à la Cour de Louis XIV, au Château de Versailles. Les décors d’Helmut Stürmer, tournants et pliables tel un paravent, donnent son dynamisme à l’action scénique, assez mouvementée comme cette histoire. Les costumes de Corina Gramosteanu sont flamboyants, entre les perruques et les robes corsetées, sans oublier les chemises à jabot chez les hommes, situant bien l’action en cette période historique.
Et pourtant, la dynamique ne repose pas seulement, ni même principalement sur cette temporalité : Max Emanuel Cenčić insuffle beaucoup de vie et d’humour dans le jeu d’acteur de ses personnages, tant secondaires que principaux (le majordome dicte les changements des décors, les courtisans Lotario et Ugone rivalisent de fausse amabilité et d’avidité envers le pouvoir, sans oublier quelques allusions et visions plus que sensuelles de sa majesté et des dames de la cour, qui présentent leurs beaux atours).
Le plus grand farceur et comédien n’est d’ailleurs nul autre que le souverain lui-même, un Flavio en roi Soleil qui se donne en spectacle, à l’heure du lever, du coucher (y compris accompagné), aussi bien qu’au bain (ses décisions importantes sont arbitraires et toujours inattendues : durant ces moments de détente et de plaisir).
La minutieuse direction d’acteurs réussit dans sa bonne cadence rythmique à captiver l’entière attention du public qui rit aux éclats et ne se lasse jamais. Les petits moments sombres à la fin du spectacle viennent même rehausser par contraste la joyeuse ambiance engagée dès le départ et couronnée par un dénouement heureux.
Julia Lezhneva incarne Emilia, la véritable protagoniste de cet opéra (qui d'ailleurs portait son nom à l'origine). Sa prestation théâtrale est pleine d’aisance et d’expressivité (ses gestes et mimiques sont travaillés et naturels), tandis qu'elle offre des airs de bravoures qui impressionnent fortement l’auditoire. La maîtrise du souffle et de l’émission sont souveraines, ses crescendi sont très fins et dosés, les piani tout en délicatesse. Elle brille dans les vocalises rendues avec une virtuosité facile et sans entrave, grâce à un appareil plus qu’élastique qui rayonne de tous ses éclats dans les aigus.
Max Emanuel Cenčić incarne le jeune Guido, fils d’Ugone et amoureux d’Emilia dont il tuera le père Lotario (en somme, il est le Rodrigue de Chimène). Il arpente la scène et sa gamme vocale avec une énergie sémillante. Les passages vocalisants sont entonnés avec assurance et virtuosité, l'intonation est pure et la prononciation soignée. Sa voix, de contre-ténor, est charnue, avec une bonne projection poitrinée, des graves stables et une souplesse technique qui atteint ses sommets en aria.
Son homologue de tessiture, Yuriy Mynenko incarne Vitige (le soupirant de Teodata : l'autre fille d'Ugone) d'une voix très aiguë et malléable. Son expression est riche, colorée et foisonne d’élan, ce qui résulte en une bonne force vocale durant toute la soirée. Les cimes sont cimentées dans l’intonation, et très mobiles rythmiquement, avec un phrasé mélodieux et stylistiquement en place.
Contre-ténor également, le Français Rémy Brès-Feuillet incarne Flavio, en roi fort comique autour duquel gravite beaucoup d’action sur scène. Son timbre est quelque peu foncé et touffu, mais son phrasé est lisse et l’intonation précise. La projection est droite, sans trop d’intensité, mais avec une prononciation impeccable et un jeu d’acteur remarqué, plein d’esprit et de bouffonneries (comme lorsque son chant se fait faussement rauque et déréglé).
Le Lotario de Sreten Manojlović est un autre personnage comique appuyé sur un jeu investi et travaillé, avec des facéties présentes dans le chant aussi. La voix a de la résonance et de la voluminosité, mais chargée d’un vibrato intense et omniprésent qui restreint la fluidité de ses pirouettes vocales. Le phrasé est expressif et nuancé, mais les graves manquent d’étoffe.
Fabio Trümpy est un Ugone, au timbre lumineux et clair, bien articulé mais léger et manquant de rondeur vocale. Sa présence est comique et ses mélismes entonnés avec l'entrain rythmique de l'orchestre, la rapidité s'alliant à la souplesse.
La contralto tchèque Monika Jägerová chante Teodata avec une sonorité bien nourrie et résonnante, notamment dans l’assise vocale, malgré une projection limitée en volume. L’émission est droite et tendre, notamment les aigus d'une justesse cristalline.
De son mezzo tendre et rayonnant, au phrasé solidement formé, mais avec des aigus serrés et une prononciation imperceptible, la comédienne Filippa Kaye incarne une Courtisane qui chante un air emprunté à Michel Lambert (en français, parmi cet opéra italien : "Vos mespris chaque jour"), accompagnée par Michael Freimuth au luth. Cette chanson fait référence au règne de Louis XIV, parmi d'autres emprunts musicaux ajoutés notamment en interludes pour des changements de décors.
L’ensemble en résidence au Bayreuth Baroque Opera Festival pour cette édition 2023, le Concerto Köln, revient après un récital avec Jeannine de Bique l’année dernière (notre compte-rendu à Sablé). Spécialistes de Händel, ils suivent la battue impétueuse de Benjamin Bayl. Son énergie se diffuse en cet orchestre qui se prête à un jeu dansant et rythmé, tout en traduisant les mélodieuses et lyriques incantations, sans excès d’expressivité. Les nuances sont rendues avec beaucoup de finesse, les contrastes soyeux sont offerts avec une pleine maîtrise du son. Quelques solistes se démarquent par leur prestation virtuose, tel le premier violon de l’ensemble, Evgeny Sviridov.
Le public salue l’équipe artistique en salve d'applaudissements, notamment les vedettes solistes et les musiciens de l’orchestre avec leur chef Benjamin Bayl.