Aureliano in Palmira de retour au Festival Rossini
Comme c’est son habitude, le Rossini Opera Festival préserve et ravive le patrimoine musical du compositeur de Pesaro en faisant redécouvrir au grand public ses œuvres tombées dans l’oubli. Aureliano in Palmira (Aurélien en Palmyre) fut ainsi présenté en 2014 dans une nouvelle édition critique réalisée par Daniele Carnini et Will Crutchfield, musicologue et chef d’orchestre américain (à la baguette de l’orchestre pour cette occasion). La production signée par Mario Martone et créée alors avec Jessica Pratt et Michael Spyres sur le plateau, revient à Pesaro avec une jeune distribution internationale.
Cet opéra présenté au lendemain de Noël en 1813 à La Scala de Milan, n’a pas connu le succès des autres grands titres de Rossini mais, comme le démontre Daniele Carnini (dans la notice du programme) et à en juger par la correspondance du compositeur, Rossini fut pourtant très confiant sur la qualité de sa musique. Dans une lettre adressée à sa mère, il explique ainsi que la première fut un fiasco, mais un beau fiasco, puisque dirigé à son avis contre les chanteurs et non pas contre la partition, loin de là. L’histoire lui donnera d’ailleurs promptement raison, avant même le retour sur scène d’Aureliano in Palmira puisqu’il utilisera certains numéros dans d’autres opéras à succès comme Le Barbier de Séville, notamment pour l’ouverture qui est devenue l’un des morceaux les plus connus de l’histoire. Ce transfert littéral d’une œuvre à l’autre est d’autant plus intriguant que l’une ouvre un opera seria et l’autre un opera buffa (cette ouverture est reprise également dans Elisabetta, regina d'Inghilterra), un procédé dont il s’est servi fréquemment (lire notre compte-rendu d’Eduardo et Cristina). Enfin, Aureliano in Palmira est le seul opéra que Rossini écrivit avec un rôle de castrat, le personnage d’Arsace créé par l’un des derniers grands castrats, Giovanni Battista Velluti.
Mario Martone propose une lecture traditionnelle qui sert la musique, un peu plus que le livret de Giuseppe Felice Romani. Les costumes d’Ursula Patzak rendent l’honneur à l’Orient où l’intrigue est située, avec la conquête de Palmyre en Perse par les Romains (en l’an 272 de notre ère). Ces réalisations vestimentaires flamboyantes rehaussent ce spectacle dont les décors minimalistes de Sergio Tramonti, principalement constitués de parois en toile transparente, manquent d’appui pour la dramaturgie de l’intrigue. Ces labyrinthes représentent un choix un peu abstrait pour le spectateur qui se détourne plutôt vers sa position d’auditeur, la musique abondant heureusement de qualités sonores. Les chanteurs investissent tout l’espace scénique, et vont jusqu’à descendre parfois parmi le public, sans toutefois vraiment percer le quatrième mur. Le seul moment divertissant reste l’entrée de chèvres sur scène qui renforcent le paysage pastoral dessiné.
Le ténor Alexey Tatarintsev chante Aureliano avec un son chaleureux et lyrique, foisonnant d’énergie. Les aigus et suraigus sont attaqués avec justesse et force, un phrasé rossinien élégant et plein de musicalité. Certains passages vocalisants sont cependant en retard et imprécis, mais sa prestation et sa prestance dégagent une assurance globale appréciée par le public.
Adepte du répertoire rossinien, la soprano catalane Sara Blanch Freixes impressionne en Zenobia par la souplesse et la précision de son chant colorature. Le timbre est lumineux et tendre, mais charnu dans son émission. Elle chante les vocalises avec élasticité et facilité sans manquer de puissance (sonore et dramatique), avec une prononciation impeccable. Les suraigus pointus et cristallins sont sa marque de fabrique (tel ce contre-mi bémol), avec une projection résonnante qui repose beaucoup sur la poitrine et un phrasé touffu de fioritures (notamment des gammes et arpèges impétueux).
Également issue de l’académie du Festival, la mezzo Raffaella Lupinacci déploie une gamme large et polyvalente en Arsace. Son registre domine dans les aigus, frais et puissants, très malléables et stables dans l’intonation. La voix est bien timbrée, quelque peu sombre et finement nourrie, convaincante dans ce personnage travesti. Les graves sont appuyés, mais l’expression manque de nuances dans les récitatifs, notamment la prosodie. En revanche, ses airs moins intenses et plus lyriques baignent dans la douceur et la musicalité, les duos avec Zenobia à fleur de peau étant l’apogée de leur délicatesse musicale.
Succédant à Raffaella Lupinacci qui interprétait Publia dans la production de 2014, Marta Pluda chante avec une voix plus foncée mais solidement souple dans ses airs. La ligne est toutefois vibrée et la prosodie rigide, les cimes manquant d'appui. Sunnyboy Dladla interprète Oraspe avec justesse et une émission droite, son ténor étant lumineux et mince par rapport au reste de la distribution (il est parfois éclipsé par la fosse en tutti).
Parmi les basses, Davide Giangregorio chante Licinio appuyé à une assise charnue et ronde, une solide articulation mais une expression vibrée manquant de relief. Alessandro Abis en Grand Prêtre se démarque par une grande voix étoffée qui se projette loin, sonore et rythmique, quoique moyennement souple. Enfin, le Pasteur d’Elcin Adil est un baryton clair et éloquent, d’un timbre svelte mais sans grand éclat.
George Petrou conduit l’Orchestre Symphonique Gioachino Rossini, avec une battue précise et équilibrée, pleine de sonorités dramatiques et d’esprit comique, notamment l’ouverture, rendue légèrement disproportionnée à la fin par l’enthousiasme des percussionnistes (les cymbales deviennent tonitruantes). Les cordes jouent un pizzicato (pincé) sonore et harmonieux, l’ensemble livrant une prestation nuancée et haute en couleurs. Le Chœur du Teatro della Fortuna (direction Mirca Rosciani) représentant le peuple perse assume sa présence importante dans ce drame historique, avec un chant nourri et compact, les ténors mariant leurs voix souples et chaleureuses avec la douceur et l'éclat vocal des sopranos.
L'accueil du public est enthousiaste, notamment du côté des personnages perses, Sara Blanch et Raffaella Lupinacci se voyant couronnées de fortes acclamations.