Nouvelle aurore pour Netrebko dans Le Trouvère au Teatro Colon
Quelques jours après sa prestation dans Aida aux Arènes de Vérone et quelques mois après sa dernière venue au Teatro Colón pour Tosca, c’est dans Le Trouvère qu’Anna Netrebko, acclamée, s’illustre à nouveau à Buenos Aires.
Le Soleil Levant de la mise en espace
Ce Trouvère propose une mise en espace abstraite mais vaguement japonisante. Le duo formé de Gabriel Caputo (conception) et Marina Mora (direction), qui avait récemment œuvré à la réussite d’Anna Bolena, signe à nouveau cette nouvelle mise en espace où des formes circulaires projetées puis suspendues de différentes tailles, concentriques et mouvantes, parfois orientées de façon gigogne, font penser à des ombrelles japonaises. Si le rapport entre la fable du Trouvère et le Japon se perçoit mal de prime abord, ce pays conserve dans son imaginaire une tradition culturelle du règlement de compte et de l’honneur familial, thèmes qui se retrouvent dans le chef-d’œuvre de Verdi. Les couleurs pastels des lumières de Rubén Conde ainsi que le choix du noir et blanc (acte III) renforcent cet aspect épuré japonisant rappelant les tons des ombrelles mais aussi celles des estampes du Soleil Levant.
Si le dispositif est agréable et suggestif, il peine à meubler la scène et rend le positionnement des chanteurs trop statique. Le chœur, comme c’était déjà le cas pour Anna Bolena, est placé sur deux estrades. La prestation théâtrale génère finalement plus de frustration que de réconfort.
La voix de Verdi en fosse
Le chef italien Giacomo Sagripanti, à la tête de l’Orchestre permanent du Colón, met en œuvre la partition de Verdi de façon contrastée. La précision et la puissance de l’orchestre sont sollicitées, le souci du détail (comme la force suggestive des percussions qui agissent en ponctuation des phrases du livret) mis en exergue. Minutieux et attentif, Giacomo Sagripanti l’est assurément et peut-être même un peu trop relativement à Anna Netrebko tant il semble parfois trop soumis aux choix opérés par cette dernière : certains passages sont ainsi plus flottants du point de vue des tempi.
Les voix de Verdi en scène
Le bel acier azuréen d’Anna Netrebko (Leonora) valorise l’agilité d’aigus qui retrouvent sans difficulté une assise ample et tendue comme un sabre japonais. L’onde sonore de projections lisses et riches en harmoniques se propage en jouant du temps de réverbération. Puissance du souffle, virtuosité des lignes, délicatesse du phrasé, fantaisie dans les subtiles variations du vibrato : tout réussit à la diva. Seule la prononciation de l’italien, trop fermée, rend parfois difficile la compréhension de mots portés avec tant de poésie par le chant. Une légère fatigue se fait jour au début de l’acte IV où le vibrato semble moins stable, mais c’est heureusement ponctuel et cette fois-ci sans conséquence sur la justesse de la ligne de chant, contrairement à ce qui s’était passé pour Tosca l’année passée in loco.
Le Trouvère Manrico est interprété par son mari à la ville, le ténor azerbaïdjanais Yusif Eyvazov. Son puissant timbre aux rutilantes couleurs italiennes, porté par une diction audible, marque une voix enthousiaste et brillante d’éclats conséquents. Il est toutefois regrettable que le recours au volume se fasse au détriment du phrasé, assez monotone, sans originalité ni effets de style personnels.
L’Argentin Fabián Veloz, qui accompagnait déjà le couple Netrebko / Eyvazov dans Tosca, prête son puissant baryton et ses qualités d’acteur au Comte de Luna. Sa voix, ample et large, sied à son personnage, avec une belle complexité de couleur, à la fois sombre dans l’assise et mordorée dans la vivacité de l’éclat.
Son compatriote Fernando Radó en Ferrando est un baryton-basse maintes fois entendu au Colón. La voix, solide et robuste, est droite et linéaire, le timbre, harmonieux sur toute la tessiture, est servi par un effort articulatoire favorisant autant les projections que la diction.
En remplacement d’Anita Rachvelishvili prévue dans le rôle d’Azucena, la mezzo russe Olesya Petrova séduit un public surpris par la chaleur et la puissance de sa voix pour ses débuts au Teatro Colón. Si le volume global de l’émission est imposant, les graves manquent toutefois de profondeur. La prononciation de l’italien semble également trop peu articulée.
Les ressources locales occupent des rôles plus modestes. La soprano María Belén Rivarola incarne Iñes, confidente de Leonora : l’émission, claire et saine, laisse transparaître une voix effilée. Le ténor Santiago Martínez, habitué des scènes lyriques de Buenos Aires, donne à Ruiz une voix haute, limpide, fermement plantée. Sergio Wamba (entendu dans Armide) offre les couleurs chatoyantes de sa basse au Vieux Gitan, tandis que Cristian Taleb habille le Messager d’une voix de ténor clairsemée mais élégante.
Le Chœur permanent du Colón sait allier puissance, rigueur et précision. Sous la direction de Miguel Martínez, il voit sa dimension de personnage collectif prendre l’épaisseur requise.
Même si quelques huées accompagnent les concepteurs de la mise en espace, le succès du spectacle est indéniable auprès du public mais les champions du monde de football le sont aussi visiblement pour ce qui concerne l'enthousiasme durant les représentations lyriques : les applaudissements -des mains et parfois des pieds- saluent systématiquement chaque fin d'air de chaque soliste, tandis que la diva reçoit un "brava" avant même d'émettre sa première note.