Sous le ciel de Vichy, récital lyrique comme pluie d’étoiles
Un précédent récital de plein air, à la sauce viennoise, avait déjà donné matière à s’envoler pour de hautes sphères lyriques et dansantes (notre compte-rendu). Mais cette fois-ci, donc, le Festival de l’Opéra de Vichy, succès populaire, invite même son public à prendre la route de la voie lactée. Ce qui n’a rien d’incongru en cette période d’étoiles filantes, et s’il s’agit là d’effectuer un court voyage vers une planète parallèle, un paradis pour amateurs de bel canto, d’airs de bravoure et de chansons plus légères. Car le programme des réjouissances est particulièrement riche. Sont ainsi conviés à ce céleste banquet des invités de choix tels que Mozart, Gounod, Rossini, Verdi, Delibes, mais aussi Offenbach ou encore Kurt Weill et même Charles Trenet. Sans oublier les plus confidentielles Eva Dell'Acqua et Isabelle Aboulker, dont sont ici remises en lumière deux charmantes pièces, la Vilanelle pour la première, et le délicieux et désopilant À propos de la chaussette blanche pour la seconde.
Un répertoire plus qu’éclectique dans lequel s’illustrent Mathieu Gourlet et Lila Dufy, un duo de jeunes chanteurs au talent déjà affirmé, et à la complicité fort bien rodée, nourrie par un évident plaisir pris à endosser toute une série de rôles certes traversés par des tourments différents, mais servis par un égal sens de la musicalité et de l’incarnation théâtrale. Une complicité qui se fait notamment limpide dans les duos ici proposés, issus des Noces de Figaro, de Don Giovanni ou encore, dans un registre bien plus badin et dansant, de l’opérette Véronique d’André Messager (duo de l’escarpolette). Des airs où les deux artistes font autant état d’assurance vocale que d’entrain et de spontanéité dans leurs gestuelles et mimiques, sur l’estrade d’un kiosque de plein air devenu scène d’opéra.
Un duo complice et ouvert à tous les registres
Des deux membres de ce binôme, vainqueur en 2022 du Prix...de l’Opéra de Vichy au Concours international de la mélodie de Gordes, Lila Dufy se distingue par la fraîcheur, la sonorité (à en rendre inutiles les micros ici déployés) et la polyvalence de son soprano. Fringante Sussana, attendrissante Zerlina, l’artiste se montre tout aussi à l’aise chez Rossini, s’en acquittant avec gourmandise, et avec tout l’élasticité vocale et la longueur de souffle requis. Une voix ample à la riche palette de couleurs qui s’épanouit tout autant à l’heure, tournant le dos aux tristes sentiments, de chanter les manières décomplexées des Filles de Cadix de Delibes, ou encore d’allumer la mèche des souvenirs en reprenant le Boum de Trenet. Là, tout n’est que soleil andalou et battements joyeux de cœurs en fête, à l’écoute de refrains ravissants mais surtout d’une voix toujours plus généreuse de projection et lumineuse de timbre, par cette façon de chanter avec un sourire permanent et rafraîchissant en cette matinée de chaleur.
De chaleur, Mathieu Gourlet en a d’ailleurs dans le timbre. Son Vulcain (du Philémon et Baucis de Gounod) est une coulée de lave nourrie par une autorité vocale et une homogénéité d’émission souveraines, ce qui vaut aussi pour sa profondeur sonore et puissance dramatique. Les graves prennent un relief abyssal et il sait incarner la sévérité d'un personnage crédible dans Street Scene de Kurt Weill. À l’autre bout de l’échelle des caractères, et À propos de la chaussette blanche (du nom de la chanson d’Isabelle Aboulker), la basse se fait tout aussi probante à l’heure de dédaigner cet attribut vestimentaire devenu « hideux et vulgaire, car tombé dans le domaine public » (fort heureusement, en ce dimanche ensoleillé, la sandale et le nu-pieds dominent dans le public).
Un récital procédant donc d’une valse des émotions et des répertoires, et où la pianiste Juliette Journaux trouve aussi toute sa place. D’abord dans l’accompagnement et dans l’art de donner le la et le juste tempo aux deux chanteurs. Puis dans cette façon, sans surjouer et avec un naturel déconcertant, de faire montre de sa technique pianistique et d’un sens nourri de la virtuosité, dans deux pièces de Schumann et de Schönberg. De quoi mettre d’autant plus d’étoiles dans les yeux (et surtout les oreilles !) du public qui salue par de chauds applaudissements les bienfaits de cette cosmique parenthèse.