L'Or du Rhin à Bayreuth : ce Ring de Schwarz n’est déjà plus nouveau
Le mandat de Wolfgang Wagner (directeur entre 1966 et 2008 de ce Temple voulu par son grand-père Richard Wagner) marqua notamment l’esprit "Werkstatt" de Bayreuth : l’"Atelier" Bayreuth, considérant qu'une mise en scène n'est jamais définitive et peut évoluer d'une année à l'autre. Le rideau de cette reprise de la Tétralogie par Valentin Schwarz se lève cependant sur un spectacle rigoureusement identique à la saison précédente.
La vidéo liminaire présente d’emblée Wotan et Alberich sous la forme de deux fœtus belliqueux réunis dans une même poche amniotique (sans dire vraiment qui est la mère, tandis que le lendemain pour La Walkyrie c'est l'identité d'un père qui restera un autre mystère irrésolu comme le propos du metteur en scène). La rixe occasionne la perte de l'œil sans lien aucun avec le système symbolique du Ring. Cette approche substitue au schéma dramaturgique un second réseau souvent très confus. L'Or du Rhin est un (méchant) gamin qui sert de monnaie d'échange entre bandes rivales en lutte pour accéder à un pouvoir. Les épisodes s'enchaînent sur le principe d'une série en streaming, mais avec un fil rouge relativement distendu et flou qui exige du spectateur un certain recul pour pouvoir apprécier l'ensemble de la Tétralogie. Ce même spectateur devinera au passage que les huit petites filles séquestrées dans un Nibelheim aux allures de sous-sol entouré de baies vitrées ne sont rien d'autre que les futures Walkyries, occupées à dessiner le visage d'un Wotan avec casque ailé. Le curieux pyramidion qui illustre le Walhalla (et plus abstraitement le pouvoir qu'il représente) passe de main en main, au grand désespoir de Freia qui en le soulevant, y découvre un révolver avec lequel elle se suicide - interrompant la danse extatique d'un Wotan trop pressé de célébrer son triomphe.
Bis repetita scénique mais aussi du côté des prestations vocales, à commencer par l’Alberich d’Ólafur Sigurdarson qui, pour la deuxième année consécutive, offre au personnage le métal luxueux d'un instrument en pleine possession de ses moyens, réussissant à incarner son personnage par un phrasé qui en traduit le dérèglement moral et la cruauté.
La Fricka de Christa Mayer paraît cependant moins en voix que l'an dernier, faute d'une ligne suffisamment dense et en raison d’un phrasé parfois approximatif. En Wotan, Tomasz Konieczny dissimule sous un engagement éruptif un timbre somme toute très rugueux et agressif. Détimbrant aussi et butant à de nombreuses occasions sur des erreurs de texte, sa prestation marquée par le volume sonore divise le public qui majoritairement, lui fait tout de même un triomphe.
Le Mime terni aux effets brouillons d'Arnold Bezuyen impressionne moins que le bouffon et histrionesque Daniel Kirch en Loge, malgré l'usage un peu excessif d'effets dans l'aigu et la voix de tête. Plus convaincant en Fafner qu'en Titurel, Tobias Kehrer dame le pion à son géant de frère Jens-Erik Aasbø (Fasolt), moins à même d'exprimer la noirceur faute d'un registre grave suffisamment ample et étoffé.
Les Filles du Rhin peinent à surnager et menacent de boire la tasse, avec des intonations assez douteuses (Simone Schröder - Floßhilde), une couleur uniforme (Evelin Novak – Woglinde) et une projection largement perfectible (Stephanie Houtzeel - Wellgunde). Attilio Glaser est toujours pertinent dans la présence très affirmée et la précision de la ligne vocale qu’il imprime à son Froh, bien secondé par Raimund Nolte qui capte l'attention en Donner par le jeu et l'aisance de la projection. Hailey Clark ne parvient pas à sortir le personnage de Freia de l'arrière-plan, absolument l’inverse pour l’Erda signée Okka von der Damerau, multipliant expression et couleurs.
Parvenu enfin au pupitre de ce Ring scénique (après une Walkyrie-action artistique, isolée en temps de déconfinement), le finlandais Pietari Inkinen offre à ce Rheingold un son d'orchestre relativement uniformisé dans sa structure et ses intentions, manquant d'une vision analytique et variée. Sa lecture illustre le propos sans les reliefs qui en souligneraient l'énergie et l'engagement, mais réussissant toutefois à satisfaire le public qui l'acclame chaleureusement.
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