La Walkyrie à Bayreuth, ou les complexités de l’héritage
La première journée des aventures du Ring n'est pas plus claire que le prologue, faute d'une proposition dramaturgique qui pourrait solliciter la curiosité du spectateur (ce qui demande un minimum de clarté, au moins dans son propre propos). Sieglinde -amante de son frère Siegmund- est donc enceinte au lever du rideau, sans qu’on sache de qui. Elle braque une lampe torche sur son ventre en chantant "Dies Haus und dies Weib sind Hundings Eigen" ("Cette demeure et cette épouse sont la propriété de Hunding", son époux), mais Wotan profite -à la fin du deuxième acte- d'un moment de trouble pour venir vérifier que l'enfant à naître est bien positionné. Entre enfant incestueux ou illégitime, le metteur en scène Valentin Schwarz ne donnera pas de réponse, se contentant de montrer une tentative d'avortement et la répulsion qu'inspire l'enfant à Sieglinde quand il lui est présenté.
Il en va de même avec cet enfant comme avec l'immense majorité des détails de cette Walkyrie, naviguant à vue entre circonspection et incompréhension, sans jamais trancher véritablement parmi les nombreuses options qui sont présentées. Les Walkyries ont bien grandi depuis la veille, elles sont désormais dans la salle d'attente d'une clinique de chirurgie esthétique, le visage botoxé et le corps refait à coups de scalpel puisque les pommes de Freia ne sont plus d'aucune utilité. Le rideau de l'acte II se lève d’ailleurs sur les funérailles de celle-ci, prétexte à la longue série des vengeances et des humiliations que Fricka fera subir à Wotan jusqu'à cette ultime scène où les "adieux" riment avec "divorce".
Un trio de stars propulse le premier acte vers des sommets autrement plus vertigineux, à commencer par Elisabeth Teige, succédant à une autre norvégienne, Lise Davidsen. La voix déplie palette d'aigus somptueux, parfaitement à même de traduire les sentiments hésitants d'un amour qui surgit par étapes. Le timbre se conjugue à la perfection avec celui du Siegmund de Klaus Florian Vogt. Le ténor est souverain dans la maîtrise et la clarté du phrasé, avec un timbre très expressif qui donne au personnage un relief extraordinaire. Le Hunding de Georg Zeppenfeld est moins violent que réellement noble et racé, donnant un profil très raffiné à ce rôle souvent confié à des voix singulièrement agressives.
Les Walkyries ne marquent cependant guère les esprits, dépareillées et trop souvent confinées dans une gamme expressive entre effets hurlés (Simone Schröder – Rossweisse) et minaudés (Kelly God – Gerhilde). La Helmwige de Daniela Köhler et la Schwertleite de Christa Mayer parviennent à surnager.
Déjà très exposée la veille, la voix de Tomasz Konieczny donne de Wotan le sentiment que la nervosité et la violence ont totalement envahi le personnage et ce, malgré la nécessité de nuancer le propos dans le dialogue avec Brünnhilde à l'acte III. Trop souvent écrasé et brutal, le timbre finit par se déliter et jouer exclusivement sur des effets dynamiques de projection. Christa Mayer améliore sa Fricka, usant à l'acte II d'une subtilité de phrasé qui lui manquait la veille.
Catherine Foster revient dans le rôle de Brunnhilde qu'elle avait marqué dans le Ring de Frank Castorf. Le chant fait entendre des qualités d'intelligence et d'endurance qui traduisent sa faculté de dimensionner le souffle et l'engagement aux difficultés du rôle. Elle réserve ses forces pour un affrontement de l'acte III dans lequel elle décoche des aigus vibrants avec une impressionnante couleur d'ensemble.
La direction de Pietari Inkinen cède à la tentation du volume et passe souvent sur le raffinement de la ligne. L'orchestre est solidement charpenté à une lecture massive qui donne du drame une vision tellurique et terrienne sans grande profondeur mais qui reçoit, avec la distribution, de longs applaudissements.
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