La Belle Hélène à Aix-les-Bains
Après le décès de son fondateur Pierre Sybil et les difficiles années de pandémie, le genre de l’opérette retrouve à Aix-les-Bains une dynamique nouvelle. Avec sa nouvelle directrice artistique, la danseuse et chorégraphe Estelle Danvers, la Riviera des Alpes accueille le désormais nommé Festival Lyrique d’Aix-les-Bains, avec le soutien de la journaliste Ève Ruggieri, heureuse « marraine de cœur » de cette 34ème édition. Pour clore cette semaine particulièrement rythmée par l’univers malicieux de Jacques Offenbach.
Le baryton-basse Jean-François Vinciguerra est en charge de la mise en scène, tâche pas forcément évidente : écrite sous le Second Empire, l’œuvre rit de la société mondaine tout en regorgeant de références culturelles et historiques, toutes truculentes mais pas toujours les plus évidentes pour le spectateur d’aujourd’hui. Le metteur en scène doit alors se montrer capable d’équilibrer avec soin et bon goût un comique respectueux de l’œuvre tout en restant compréhensible. Jean-François Vinciguerra relève ici le défi en ne modifiant qu’à toutes petites touches certains textes du livret, ajoutant quelques références d’actualité sans lourdeur, dans la veine d’Offenbach et de ses librettistes, Henri Meilhac et Ludovic Halévy. Ces touches d’humour font leur effet et sont ainsi bien appréciées du public, sans le lasser.
Le décor, constitué d’un mur et d’une porte avec fronton, évolue au fil des actes par quelques accessoires installés autour ou sur de petits escaliers et estrades. Les artistes peuvent ainsi parfois créer de beaux tableaux et occuper les différents espaces scéniques de manière cohérente et vivante. Les costumes, créés par l’excellente Maison Grout, "évoluent" de la même façon : de tenues rappelant la Grèce Antique, dont certaines s’inspirent des costumes de la création en 1864 au Théâtre des Variétés de Paris, pour terminer dans les peignoirs blancs bien connus des curistes aixois . Un écran de projection occupe une partie du fond de scène, offrant quelques vidéos faites de dessins de synthèse – sans enrichir outre-mesure la scénographie, surtout lorsque le dais du lit fait obstacle à la projection. Les danseurs de la Compagnie Lychore d’Estelle Danvers qui signe la chorégraphie, apportent avec précision de gracieux numéros dansés, parfois presque acrobatiques, en complicité constante avec les autres artistes du plateau, avec lesquels ils se confondent même parfois.
La Belle Hélène la Blonde est incarnée par Valentine Lemercier. Lumineux dans les aigus et velouté dans les graves, son timbre soutenu par un ample vibrato séduit comme son jeu scénique (volontairement légèrement embourgeoisé) ne manque pas de grâce. Elle offre de longues et belles tenues à faire se pâmer les auditeurs admiratifs. Son duo du rêve avec Blaise Rantoanina, qui interprète le jeune et beau Pâris, est également un air apprécié. Le ténor incarne bien le charme du héros par sa voix claire et fluide, au texte toujours très compréhensible. Son énergie permet entre autres un amusant et néanmoins agile et vif air « Je suis gai, soyons gai, il le faut, je le veux ! », transformant soudainement sa robe d’augure de Vénus en tenue disco-rock.
Le dindon de la farce est évidemment le pauvre Ménélas, parfaitement ridicule grâce aux talents de Thomas Morris, savoureux comédien qui sait également montrer un chant maîtrisé, dosant avec soin son timbre nasalisé. Son frère Agamemnon partage son don du ridicule avec toutefois la noblesse de présence et de timbre d’un roi des rois, grâce à l’incarnation d’Olivier Grand. Ils sont tous deux conseillés par le grand Augure de Jupiter, Calchas, interprété par Jean-François Vinciguerra, comédien-chanteur à la voix large et puissante, partageant sa malice avec un plaisir patent. Tous trois offrent un trio patriotique « Lorsque la Grèce » très drôle et fortement applaudi.
Alfred Bironien joue Oreste, adolescent fêtard un peu bêta, dansant et chantant en même temps avec aisance et clarté. Yvan Rebeyrol incarne un Achille agressif et néanmoins attachant par son manque d’esprit, dépeignant un solide gaillard pleurnichant sur son talon vulnérable. Nicolas Grumel et Thierry Mulot prêtent à propos leur jeu aux deux Ajax tandis qu’Anaïs Suchet et Marie Gibaud, autant danseuses que chanteuses, entourent le jeune Oreste en jeunes et pétillantes Parthénis et Léœna. Le public apprécie également les interventions présentes et claires d'Orlando Canton Gonzalez en Philocôme, préposé au tonnerre et serviteur de Calchas.
Le Chœur du Festival Lyrique montre une préparation attentive, bien qu’il ne soit pas toujours très limpide de texte. Participant à la chorégraphie tout en assurant leurs parties chantées, une fatigue commence néanmoins à se faire sentir lors de l’acte III, par une homogénéité moins soignée et une énergie collective moins marquée.
L’Orchestre du Festival Lyrique reste présent malgré la fosse, permettant ainsi d’apprécier les interventions solistes, particulièrement des instrumentistes à vent tels les clarinettes ou le cor. Tous les numéros ne pétillent pas toujours comme du champagne mais font apprécier l’accompagnement investi des musiciens, sous la direction attentive de Bruno Conti. Celui-ci se montre parfaitement réactif lors des petits décalages entre la fosse et le plateau qui n’y paraissent ainsi presque pas.
C’est avec un vrai cheval blanc sur scène que Pâris enlève Hélène pour Troie, à la barbe du roi Ménélas et pour le plus grand plaisir d’un public enthousiaste, applaudissant longuement l’ensemble de la troupe, certains se levant même pour manifester leur reconnaissance pour cette joyeuse soirée fêtant Offenbach et l’Opérette.