Alagna au Capitole : une légende à taille humaine
Le ténor Roberto Alagna et le pianiste également célèbre Yvan Cassar offrent un programme centré autour des chansons napolitaines, italiennes, siciliennes et françaises ainsi que de grands airs d’opéra. Le tout entrecoupés d’épisodes instrumentaux, en piano solo puis avec violoncelle, pour finir avec un ensemble constitué d’un quintette à corde (quatuor et contrebasse), trompette et mandoline, qui accompagnent la voix de façon dynamique et colorée.
Dès l’entrée du célèbre interprète (anticipée par des applaudissements enthousiastes), le ton est donné : Alagna parle directement au public et blague avec Yvan Cassar, ce qu’il fera tout le long du récital.
Roberto Alagna prête son timbre de ténor généreux à ces répertoires variés, avec son style usuel : le vibrato est marqué, les ports de voix sont nombreux, les « R » sont grasseyés en français, il n’est jamais avare sur les aigus et mixe les esthétiques de l’Opéra et de la Chanson. Sa diction est toujours claire et le texte est compréhensible. S’il reste généralement sur des nuances mezzo-forte ou forte, il sait également jouer de piani d’une grande finesse, en particulier sur les interjections et les « Ah ! » expressifs.
S’il est (compréhensiblement) légèrement nerveux en début de récital, il se détend bien vite et est extrêmement à l’aise sur scène et dans son jeu. C’est toute une atmosphère qu’il instaure dans la salle, en parlant au public mais aussi dans ses interactions truculentes avec Yvan Cassar « Nous sommes un vieux couple »… ou (faisant signe à Yvan de commencer après être allé boire) « Vas-y, chéri ! ». Particulièrement à l’aise dans toutes les chansons italiennes et avoisinantes et cet affect débordant, il remporte également un grand succès avec « Rachel, quand du Seigneur » (La Juive), E Lucevan le Stelle (Tosca), pour n’en citer que deux. La prestation de Roberto Alagna se définit ainsi, profondément généreuse.
Yvan Cassar est un pianiste et accompagnateur fin et attentif. Il habite et respire la musique (il semble souvent chantonner en jouant), suit le chanteur dans ses nuances et ses nombreux rubatos (souplesse rythmique). Il fait sonner le Steinway du Capitole avec une tendre douceur mais aussi la puissance nécessaire pour soutenir les passages plus dramatiques. Il dirige également la formation étendue qui les rejoint après la pause et propose des morceaux instrumentaux d’une grande qualité, une mélodie hébraïque avec violoncelle (en écho à l’extrait de l’opéra La Juive) et un morceau solo tout en volute et particulièrement coloré, entre autres. Il est très détendu sur scène et rentre dans le même jeu de boutades avec Alagna « J’aurais passé la soirée tout seul ! » -en réaction aux aller-retours du chanteur pour aller boire et sortir/revenir sur scène. Une prestation et une présence hautement musicale et sympathique.
Les autres musiciens sont également salués, la violoncelliste qui brille par la sensibilité de son jeu, la trompette au timbre cristallin et à la ligne impeccable, la mandoline par Julien Martineau (directeur artistique du festival), enchaînant les tremoli et les traits virtuoses dans une détente absolue, et le reste du quintette à corde au son riche et suave.
Les applaudissements particulièrement chaleureux entre les morceaux culminent en une standing ovation qu’un public comblé fait résonner au Théâtre du Capitole, comble également. Un triomphe pour Alagna et un public extatique, partagé entre une profonde admiration pour cette star du chant, et une proximité, une familiarité, créée par un duo profondément complice et cette générosité que dégage Roberto Alagna, Légende à taille humaine.