Le Festival de Colmar rebondit sous les auspices d’Alain Altinoglu
Premier pianiste français à avoir remporté le Grand Prix du Concours Tchaïkovski, en 2019, Alexandre Kantorow cumule désormais les invitations émanant des plus importants orchestres du monde et venant des chefs les plus éminents. Ses engagements pour l’été 2023 apparaissent particulièrement nombreux, mais il a souhaité répondre favorablement à l’invitation d’Alain Altinoglu pour ce concert d’ouverture qui marque la renaissance du Festival de Musique de Colmar au terme de trois années blanches.
Alexandre Kantorow aborde avec un aplomb sidérant le Concerto n°4 pour piano de Beethoven créé en public l’année 1808 au Theater an der Wien sous les doigts du compositeur lui-même qui s'ouvre ainsi de nouvelles perspectives d’avenir, semblant se départir des modèles hérités de Haydn ou Mozart pour affirmer un langage propre et imposer toute une puissance créatrice déjà tellurique qui ne va cesser de s’accentuer. Alexandre Kantorow y déploie une dextérité de chaque instant démontant une maitrise et une technique pianistiques souveraines, mais avec comme une once de simplicité, une couleur claire et lumineuse, une immédiateté qui parlent au cœur. Il adopte la folle cadence de Beethoven, avec en sus la fougue de la jeunesse et une liberté de ton rare.
Après avoir laissé jusqu’alors une sorte de libre arbitre au pianiste tout en le soutenant de façon continue, Alain Altinoglu aborde le troisième mouvement, le finale en forme de sourire, avec une acuité artistique vivace voire majestueuse, en totale concordance avec l’approche d’Alexandre Kantorow. L’Orchestre symphonique de la Radio de Francfort, que le chef dirige depuis la saison 2021/2022 et dont la durée du mandat est désormais prolongée jusqu’en 2028, rutile sous sa baguette et révèle un métier qui ne sombre à aucun moment dans la facilité. En guise de bis, Alexandre Kantorow offre au public enthousiaste de l’Eglise Saint-Matthieu une interprétation à la fois solaire et virtuose d’un des Sonnets de Pétrarque extrait des Années de pèlerinage de Franz Liszt.
La Symphonie n°4 de Gustav Mahler occupe toute la seconde partie de la soirée. Lyrique et passionnée, épurée aussi dans son écriture, elle est portée par des thèmes qui évoquent la campagne et le monde paysan avec ces grelots qui retentissent à plusieurs reprises et par cette intervention surprenante du premier violon jouant sur un instrument désaccordé au second mouvement pour évoquer la figure du diable. Cette symphonie aux recherches esthétiques fouillées paraît la moins démesurée au sein des neuf composées par Mahler.
Alain Altinoglu l’aborde avec une sorte de volupté latente, toute la forte expressivité requise et un rendu global qui met en relief tous les pupitres de l’orchestre. Le quatrième et dernier mouvement pour soprano solo est repris du cycle vocal Le Cor enchanté de l’enfant (Des Knaben Wunderhorn), l’un des plus accomplis du compositeur. Merveilleusement souriante, Chen Reiss livre une interprétation palpitante de ce chant évoquant les joies de la vie céleste. Son soprano limpide aux aigus tout de lumière restitue toute la poésie et la tendresse de ce morceau qui vise à mener l’auditeur au ciel et vers ses félicités. Cette ouverture brillante et longuement saluée par le public augure bien de la suite du Festival de Colmar pour cette année et les suivantes.